Calligraphie sur Periscope

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Temple de Tongdosa – photo Damien Gabrielson – cc

Avant de me lever ce matin, j’ai assisté à une séance de calligraphie dans le temple de Tangdosa, à Pusan, en Corée du Sud. Non, je n’ai pas repris mon balai de sorcière, et non, je ne suis pas en Corée, mais à Paris, dans mon treizième arrondissementen chantier.

Et si j’ai bel et bien assisté à cette séance, c’est via l’application Periscope installée sur mon téléphone. C’est ce veinard de Craig Mod qui était à Pusan. Et qui filmait. Parce que maintenant, c’est comme ça. N’importe qui, vous, lui, moi, peut actionner la vidéo de son smartphone et diffuser en direct ce qu’il filme avec le son. ça bouge souvent pas mal, c’est parfois fugace, instable, le contexte manque, et on se demande, comme on s’est demandé dans nos premiers Tweets : « à quoi ça sert ce truc ? ».

Je ne sais pas ce que cela va devenir. J’entends déjà les critiques, les inquiétudes, les mises en garde, on va tout de suite entendre parler de dérives, de dangers, de risques,d’un danger de risque sur les dérives, de la dérive des risques de danger.

Bien sûr. Mais moi, je pense à cette chanson de Patti Smith, et je rêve à ce qui peut surgir de fort et de beau d’une technologie comme celle-ci.Je pense à Dziga Vertov et à la caméra stylo :

« Je suis le cinéoeil, l’oeil mécanique, la machine qui déchiffre d’une manière nouvelle un monde inconnu. En tâtonnant dans le chaos des événements visibles, je crée un homme nouveau, parfait. »

Pas très rassurée à l’idée d’un « homme parfait », je vagabonde sur le web à partir de cette citation de Vertov (qui finit par être empêché de travailler, car accusé de cosmopolitisme), jusqu’à trouver un texte de Maurizio Lazzarato à propos de Vertov, qui se conclut ainsi :

« Pour sauvegarder toutes les promesses qu’elles semblent périodiquement annoncer, ces machines à voir et à penser doivent rester ouvertes sur toutes les autres sémiotiques et sur toutes les autres formes de subjectivité et les temporalités que la multitude et le cosmos expriment. »

Et ce matin, voyant ce calligraphe tracer ses caractères paisiblement, tranquillement filmé par Craig, lisant les questions posées par la trentaine de personnes qui visionnaient la séquence en direct, je n’ai pas trouvé le monde pire qu’avant. Je l’ai même trouvé un tout petit peu meilleur.

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L’innovation, ce n’est pas forcément technologique

Il semble de plus en plus probable que, face à la nécessité absolue de se réinventer et d’innover, les maisons d’édition choisissent des options très différentes les unes des autres, et que la mutation numérique conduise à une diversification des manières d’exercer leurs différents métiers. Les différences entre maisons jusqu’à présent se situent plutôt au niveau de leurs choix éditoriaux. Les méthodes de travail, les étapes de production, les modèles d’affaires, les usages commerciaux demeurent assez similaires d’une maison d’édition à l’autre.

À expérimenter de nouvelles voies, de nouveaux modèles, de nouvelles procédures, les différents groupes ou maisons d’édition vont avoir tendance à se différencier de plus en plus les uns des autres. Trois exemples cités dans cet article de the Bookseller en fournissent, au Royaume-Uni, une bonne illustration. Deux concernent des éditeurs indépendants, Canongate et Faber & Faber. Le troisième est le fait de Penguin Random House, plus précisément une filiale UK du premier groupe mondial d’édition.

S’agit-il d’avancées technologiques ? Du déploiement de nouveaux process ? De l’adoption de nouveaux outils ? Non, dans les trois exemples cités, il est plutôt question de… rencontres.

Rencontrer de nouveaux publics

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Canongate a décidé de donner à ce qui était jusqu’à présent une activité ponctuelle une existence bien plus consistante, en créant une structure indépendante pour la développer. Il s’agit d’un événement qui consiste à proposer sur scène des lectures de lettres d’écrivains, de célébrités, ou correspondances remarquables pour des raisons historiques, par de grands acteurs. Nommé « Letters Live », l’événement s’accompagne de musique, et bientôt de projections vidéo. Benedict Cumberbatch, le célébrissime acteur britannique, est le clou de ces soirées dans lesquelles apparaissent aussi d’autres comédiens. Sa société de production est d’ailleurs partenaire de la nouvelle structure.

Mieux connaître et fidéliser les grands lecteurs

Faber & Faber annonce un nouveau programme de fidélisation. Ses membres accèdent à des éditions collector de certains ouvrages, ont la possibilité de participer à des événements qui leur sont réservés, bénéficient de réductions sur les titres Faber s’ils achètent en direct sur le site. L’objectif d’Henry Volans, est de répondre à la question posée par Stephen Page, son CEO : « Comment atteindre directement une audience sérieuse, engagée, aimant la littérature ? « . Il est aussi, complète The Bookseller, une manière de vendre la marque Faber et son exigence en matière éditoriale.

Rencontrer des candidats aux profils plus divers

Penguin Random House UK, à qui l’on reproche parfois d’employer une population trop homogène, faisant très peu de place à la diversité des profils, lance un nouveau programme de recrutement nommé « The Scheme ». L’objectif est de réussir à toucher des gens créatifs, qui n’imaginent pas qu’ils pourraient postuler dans une maison d’édition. Le site choisi pour toucher ces nouveaux profils, c’est Tumblr. Les prérequis sont simplement d’avoir terminé ses études (on ne vous demande pas lesquelles), et d’avoir le droit de travailler au Royaume Uni.Inutile d’envoyer un CV, il faut dans un premier temps remplir en ligne un formulaire qui indique notamment :« Dites-nous pourquoi vous souhaitez faire partie de The Scheme », « Choisissez une bonne idée que vous avez eue et dites nous pourquoi vous pensez qu’elle était bonne et comment vous lui avez donné vie. Comment pourriez-vous l’améliorer la prochaine fois? » ou « De quelle présence sur les médias sociaux êtes-vous le plus admiratif ? Comment cela influence-t-il votre activité sur les médias sociaux ? »Les candidats sélectionnés auront ensuite une semaine pour préparer un brief créatif et participer à un entretien vidéo, et les finalistes seront accueillis pour l’étape finale de sélection pendant deux jours dans les bureaux de Londres de PRH. Les quatre candidats finalement sélectionnés bénéficieront de treize mois de formation rémunérée en immersion parmi les équipes de PRH.

Extrait du Tumblr « The Scheme » :

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Si ça vous tente…

 

 

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Yoyo

photo 2Le Forum de Tokyo n’avait pas lieu à Tokyo : pour m’y rendre, je n’ai pas pris l’avion, mais le RER C, et je suis descendue au pont de l’Alma que j’ai traversé en saluant affectueusement la tour Eiffel au passage. Puis j’ai dirigé mes pas vers le Yoyo, et suis descendue dans une salle située au sous-sol du Palais de Tokyo, qui abrita brièvement les projections de la Cinémathèque Française, et est devenue un « Un nouvel espace contemporain modulable dédié à la scène artistique, culturelle et événementielle« .

Le Forum de Tokyo, organisé à l’initiative de l’AFDEL et du think-tank renaissance numérique, rassemblait pour une demi journée des professionnels du « monde de la culture » et des « acteurs numériques ».

Je ne résumerai pas les débats, dont on peut se faire une idée avec le hashtag #forumtokyo sur Twitter, ou voir la vidéo ici. Mais je vais me livrer à l’exercice privilégié du blogueur : je vais essayer de réfléchir tout haut sur cet événement, et tenter de mettre au point un faisceau encore assez flou de pensées concernant la relation entre le « monde de la culture » et les « acteurs du numérique », qui me turlupine depuis un moment.

En quittant le Yoyo, je pensais que l’opposition de deux mondes, celui de la culture et celui du numérique, était vraiment curieuse. Nous avons tous besoin de repères, et il est commode de schématiser, et de mettre dans des petites boîtes faciles à empiler ce qui nous dépasse par sa complexité. On aurait ainsi d’un côté les acteurs traditionnels, tous ces gens qui s’occupent à plein temps de faire en sorte qu’existent des livres, des films, des Œuvres musicales, des programmes de télévision, des journaux. Et de l’autre, les acteurs numériques, tous ceux qui s’occupent à plein temps de… changer le monde, un pixel après l’autre.

Il me semble plutôt quant à moi vivre dans un monde en mouvement, où les métiers se complexifient, où les frontières deviennent poreuses, et où le numérique concerne chacun et pas seulement les startups ou les géants du web. Si on reproche au monde de la culture de se cramponner à ses anciens privilèges de gatekeepers, il faut prendre garde de ne pas créer de nouvelles barrières, de nouveaux privilèges, de ne pas laisser confisquer le numérique, l’innovation, le changement par quelques uns. J’essaye toujours, avec parfois de la fatigue, de plaider pour l’hybridation, pour l’échange et l’écoute, pour la curiosité. Nombreux malheureusement sont ceux qui n’aiment regarder le monde que de là où ils sont assis, et considèrent que leur point de vue est le seul qui vaille.

Les acteurs traditionnels savent que les objets dont ils s’occupent à plein temps, livres, films, musique, programmes audio-visuels, journaux, ne sont pas des « produits comme les autres ». Jetés dans un monde marchand, ces objets sont effectivement susceptibles d’être achetés et vendus et l’activité de création de ces acteurs se double d’une activité commerciale qui constitue un secteur économique important. Cependant le statut de ces objets diffère de celui de bien d’autres : ils ne sont pas exactement « consommés ». On en prend connaissance, et cette connaissance demeure dans les mémoires. Ils concernent les individus mais aussi les relations entre les individus, organisent la pensée, les échanges, la sociabilité, la politique. Ce sont des objets de conscience, des objets de pensée, des objets de rêve. Une autre caractéristique fait que ces objets ne sont pas comme les autres ; ils sont tous numérisables. On peut numériser un livre, un morceau de musique, un film, une série télévisée, et pas une montre, un camion ou une bouteille de vin.

On a cru un moment que cela signifierait que seuls ces domaines, ceux travaillant sur des objets numérisables allaient être bouleversés par le numérique. On s’aperçoit depuis quelques années qu’il n’est nul besoin que l’objet dont vous faites commerce soit numérisable pour que le numérique impacte très fortement une activité. Amazon a plus d’impact aujourd’hui en France sur les libraires par son activité de vente en ligne de livres imprimés que par la vente de livres numériques. Les biens mis en location via AirBnb ou les voitures que vous pouvez commander via Uber sont composés d’atomes et non de bits, et pourtant l’activité hôtelière et celle des taxis sont touchés avec l’arrivée de ces entreprises par une concurrence bien réelle.

Pensée post Yoyo numéro un :

La révolution numérique ne concerne pas exclusivement les activités qui concernent des objets « numérisables ». Elle est une conséquence de la généralisation de l’usage du web (avec le turbo que constitue la mobilité) : un poids nouveau des clients / usagers / utilisateurs / consommateurs, la possibilité pour les gens comme vous et moi de faire entendre leur avis, et l’arrivée de plateformes qui rendent possible des actions autrefois impensables.

Pour ceux qui produisent des biens « numérisables », c’est un double changement :
1) le même changement que tous les autres acteurs économiques, lié à l’usage du web qui se généralise et à la puissance des plateformes susceptibles d’en exploiter tous les avantages.
2) le fait que les biens dont on parle sont numérisables, et susceptibles d’évoluer non seulement dans la manière dont ils sont commercialisés, mais aussi dans la manière dont ils sont conçus, fabriqués, acheminés et utilisés, voire dans leur statut ou leur définition.

Pensée post Yoyo numéro 2 :

Là où les acteurs traditionnels diffèrent très fortement les uns des autres, c’est dans les différences d’expériences que proposent leurs versions numériques respectives vis à vis de l’expérience analogique. Le degré de substituabilité varie très fortement, et ce degré conditionne fortement les conséquences de la numérisation sur les usages et sur les conditions de circulation de ces objets.

Bruno Patino indique que les expériences autour d’une Œuvre ne sont pas substituables, et par expérience il entend le tryptique Œuvre – interface – contexte d’utilisation.

Je suis d’accord sur sa définition de l’expérience autour d’une Œuvre, mais je crois que cette expérience dispose d’un degré de substituabilité qui varie selon les types d’objets, et qui conditionne forcément la vitesse et la profondeur des bouleversements apportés par le numérique à l’activité concernée. Il me semble que ce degré est très élevé pour la musique, beaucoup moins pour le livre, et effectivement, beaucoup plus faible encore pour l’audio-visuel (dont parlait Bruno Patino). Et que ceci explique que la musique a été la première touchée par la vague, que le livre a suivi, et que l’audio-visuel est concerné à son tour.

Je crois aussi que plus on est un amateur averti dans un domaine artistique, plus on est cultivé dans ce domaine, moins l’expérience est substituable. Le mélomane entend des différences que d’autres n’entendent pas, tout comme le cinéphile voit des détails que d’autres ne perçoivent pas. Il en est de même pour les livres : le lecteur savant s’enchantera de la présence d’un moteur de recherche, l’amateur de littérature souffrira plus qu’un autre de la mise en page encore améliorable de nombreux livres numériques. Mais le fait que les expériences sont non substituables n’indique pas qu’il faille en rejeter certaines à priori : cela permet au contraire de les juxtaposer, de les additionner, ce qui peut convenir à l’amateur, au mélomane comme au cinéphile ou au lecteur cultivé.

Voilà quelques pensées post-yoyo, j’en ai eu quelques autres mais je suis à court de temps. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur le livre blanc publié à cette occasion (grâce à Librinova pour la version numérique), mais non, non, je m’arrête là. Maintenant, c’est à vous de parler : quelles ont été vos pensées post-yoyo, si vous étiez là où si vous vu la vidéo ou lu le livre blanc ?

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Ello : je n’ai pas pu m’en empêcher

C’est plus fort que moi. Je ne me peux pas m’en empêcher. Dès qu’apparaît un nouveau réseau social, il faut que je dégote une invitation, et que j’aille m’y promener. Les plâtres sont encore frais, la peinture n’a pas fini de sécher, mais c’est cela que je préfère, un lieu sur le web encore peu fréquenté, où on crie « ouh ouh » dans les couloirs pour essayer de trouver quelqu’un à qui parler. En fait, cette fois-ci, on ne crie pas « ouh ouh », on crie « Ello » (sans H).

Grâce à Sebastian Posth, qui m’a gentiment envoyé une invite, je me suis retrouvée un soir en train d’accomplir les incontournables petits gestes que l’on fait lorsque l’on débarque sur un nouveau réseau : charger une photo, écrire les quelques mots qui disent ce que vous voulez que les autres sachent de vous au premier regard, choisir un mot de passe difficile à deviner et pas trop facile à oublier.

Et puis on plonge. Tiens, Christine Génin est là, et Olivier Ertzscheid, et Daniel Bourrion. Autrefois j’aurais dit y avoir retrouvé « tout mon agrégateur », du temps de la blogosphère du livre. Aujourd’hui, je dirais plutôt que je croise des habitants de ma Twitt Line. Que font les gens ici ? Que racontent-ils ? En quoi c’est différent de Facebook, à part le fait qu’il n’y a pas de pub ?

Difficile de choisir qui suivre, un peu comme il n’est pas toujours simple de choisir à qui parler lorsqu’on arrive dans une soirée où on ne connaît personne. Commencer par écouter. Attraper un fil et le suivre. Reconnaître un nom, lire ce qu’il a posté, voir qui sont ses followers, et qui il suit.

Ceux qui ont à leur actif le plus grand nombre de posts forment le premier cercle de ceux qui, proches des fondateurs du site, l’ont utilisé en mode privé, avant même l’ouverture en version beta en avril dernier. Curieuse (oui, je sais), je cherche à en savoir plus sur les fondateurs. Je trouve le site de Paul Budnitz, et sa page de présentation. Je lis une interview dans laquelle il explique ainsi le brutal succès d’Ello, qui intervient avant même que le site soit ouvert à tous :

Pourquoi Ello s’est mis à faire sensation ainsi, pratiquement d’un jour à l’autre ?

Paul Budnitz : Il y a eu un bon design, de la chance, et le fait d’arriver au bon moment. L’expérience sur tous les réseaux sociaux est devenue pénible, pour de nombreuses raisons, l’une d’entre elle étant bien sûr la pub. Et c’est clairement une préoccupation forte pour nous. Mais quand tu te débarrasses de la pub et de la fouille de données, tu es libre de te concentrer uniquement sur la qualité du design. Et donc je pense que c’est une combinaison de choses qui sont arrivées au même moment. Nous avons eu quelques bons articles dans la presse geek, et quelques fuites dans la presse allemande. Et ensuite Facebook a commencé à exclure de son réseau agressivement ceux qui n’utilisaient pas leur vrai nom. Et il y a eu une forte réaction à cela.

Mais Budnitz n’est pas l’unique fondateur. Il s’est associé à deux petites structures installées dans le Colorado, l’une à Boulder, centrée sur le design, Berger & Föhr, et l’autre à Denver, axée sur le développement, Mode Set. En me promenant de site en site, j’ai trouvé une interview de Berger & Föhr réalisée avant qu’ils aient commencé à travailler sur Ello. La société de Paul Budnitz était alors encore basée dans le Colorado également (avant de s’implanter dans le Vermont) et Paul était l’un de leurs clients. Le même site comporte une interview du directeur de Mode Set, Justin Gitlin.

Je lis aussi les réponses d’Antonio Casilli à Télérama, qui l’interroge sur la posture « anti-Facebook » de Ello, et la sincérité de ses fondateurs lorsqu’ils affirment ne pas être intéressés par les données de leurs utilisateurs.

Antonio ferait-il partie de ceux que Jay Rosendésigne comme des « pré-mystificateurs » (soit des « démystificateurs agissant préventivement ») ? Jay crée ce néologisme « prebunking » dans un post sur Ello que je traduis ainsi :

« Pré-mystifier. C’est comme démystifier, mais sans avoir besoin d’attendre. Vous savez déjà que cela ne va pas marcher avant que cela ait vraiment démarré : « Dites simplement non à Ello »

Le pré-mystificateur fait partie de l’espèce journalistique connue sous le nom de « hype », mais se présente comme son opposé : le « anti-hype ». Je dis qu’il relève du « hype », parce qu’il éxagère le bruit fait par le phénomène nouveau de manière à montrer à quel point ce bruit est ridiculement gonflé. Comme par exemple ceci : « le réseau social le plus hot du moment va complètemnet mettre à terre ce cloaque capitaliste qu’est devenu Facebook ».
La pré-mystification, c’est du réalisme à bas prix.C’est un raccourci facile pour apparaître intelligent et mesuré, le seul adulte dans la pièce. Vous coupez court à l’excitation des gens en un soupir, et faites en sorte qu’ils s’agacent ensuite au moindre ballon gonflé. Un bon pré-mystificateur va glisser à la surface du phénomène en gémissant : « inutile de creuser plus, il n’y a rien à voir ici ».

J’ai toujours préféré creuser, quant à moi. M’inscrire. Fureter. Suivre des gens que je connais, d’autres que je ne connais pas. Commenter ici. Poster là. Laisser un peu de temps au temps, et voir de quelle manière une plateforme va évoluer. Peut-être suis-je imprudente ou naïve, mais je ne me fais pas un souci énorme pour mes données, depuis le temps, convaincue que c’est en exerçant son identité numérique que l’on apprend à la maîtriser, et que le web est un espace public, qu’il faut apprendre à habiter avec prudence mais sans crainte excessive. L’utilisation de mes données pour améliorer le ciblage publicitaire, pour le moment, me semble encore plutôt rudimentaire, et je me demande ce que font les data-scientists surpayés qui me valent de subir, depuis deux mois que j’ai acheté ma paire de Bensimon bleu marine, des propositions de paires de Bensimon bleu marine sur chaque page avec pub que je consulte. J’ai envie de lui dire, au data-scientist qui a bâclé son algorithme : « bravo mon gars, t’as détecté que je m’étais acheté une paire de tennis. Trop fort. Maintenant, creuse-toi un peu la tête et essaye de me proposer autre chose. Je n’ai pas l’intention de me trimballer tout 2014-2015 en Bensimon bleu marine. »

Retour sur Ello.

Les petits détails de design que j’aime :

– utiliser les flèches du clavier pour faire apparaitre et disparaitre les éléments de navigation situés à gauche de l’écran

– utiliser les touches F et N pour passer du flux « Friends » au flux « Noise ».

– les trois éléments d’édition de texte (gras, italique, ajout d’un lien) qui suffisent à mon bonheur sur un réseau social

Et aussi, l’absence de chats, de bébés chanteurs, et la sur-représentation en créateurs, artistes, musiciens, graphistes, designers de toutes sortes. Incontestablement, il souffle sur le Ello que je visite un esprit particulier, et qui me plaît.

Et en fait, c’est aussi plutôt agréable l’absence de publicité, finalement.

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Nana, Clélia, NiNe et les autres

L’annonce du rachat de Twitch par Amazon a été l’occasion pour un grand nombre de « non-gamers » de découvrir une pratique qu’ils n’imaginaient pas. Nous autres « gens-de-la-chaîne-du-livre », comme nos amis aiment nous appeler, ne devrions-nous pas nous intéresser de près à ce qui se passe du côté de Twitch ? Mike Shatzkin pose la question dans un billet dont je traduis un extrait :

« Il y a longtemps que quelques visionnaires du monde de l’édition comme Bob Stein pensent que la révolution numérique pour les livres va, à long terme, ne pas se limiter à livraison et à la consommation des bon vieux textes tels qu’ils figurent depuis toujours dans les livres (ce à quoi la révolution du livre numérique s’est pratiquement limitée jusqu’à présent), mais que progressivement, ce que nous appelons un « livre » allait devenir quelque chose de complètement différent. Stein porte unintérêt tout particulierau livre en temps que production contributive, dans laquelle les commentaires et les annotations de nombreux lecteurs peuvent s’ajouter à la propriété intellectuelle initiale pour les lecteurs qui suivent. Stein m’a dit qu’il voyait cela (l’acquisition de Twitch) comme un « game-changer » (probablement un jeu de mot intentionnel), qui positionnait Amazon en chef de file dans le monde du jeu. Il considère également le phénomène du second écran tel qu’il existe dans Twitch comme extensible à d’autres événements en direct, comme les concerts et les lectures et même la télévision. Il a véritablement suivi les jeux vidéo depuis très longtemps.

Richard Nash exprime une idée similaire dans une récente intervention : celle qui dit que les livres numériques impliquent que les livres ne sont plus des objets, mais des « services de lecture ». Est-ce que Twitch montre le chemin aussi pour cela ? Sommes-nous sur le point de « regarder des gens lire » en nombre significatif ? »

Regarder des gens lire ? Je vous vois sursauter, incrédules. Qui, mais qui donc ferait ça ? Quel intérêt ? Direction Youtube. Je recherche successivement avec les expressions « critique littéraire », « dans ma PAL » et « booktubeuse ». Parmi les nombreuses vidéos de Booktubeuses, (oui, un nom qui est au féminin, parce que comme les blogueuses du livre, l’immense majorité de ceux qui chroniquent leurs lectures sur YouTube sont des femmes) je tombe sur une vidéo d’une jeune femme prénommée Nana, qui a créé sa chaîne sur YouTube à laquelle 1253 personnes sont abonnées. Cette vidéo, elle l’a publiée il y a un an, pour fêter le deuxième anniversaire de sa chaîne. Nana a réalisé un clip d’une durée d’un peu plus de 6 minutes, sur un fond musical, dans lequel il y a trois parties : la préparation à la lecture, la lecture, la chronique de la lecture. On voit successivement : Nana parcourir sa bibliothèque, choisir un livre, se faire du thé, allumer une bougie, s’installer à plat ventre sur son lit, lire, puis lire sur le dos, on la voit feuilleter le livre. Plus tard, elle pose son livre près de l’ordinateur, allume celui-ci, se connecte sur son blog et commence à le chroniquer.

Avant la lecture, Nana se prépare une tasse de thé, et filme toutes les étapes de l’opération.
Bouilloire préparation thé de Nana Tasse de thé de Nana

Plusieurs plans ensuite montrent Nana en train de lire sur son lit, dans différentes positions.

Nana lit à plat ventre sur son lit Nana lit allongée sur le dos Nana lit à plat ventre
Enfin Nana se filme en train de chroniquer son livre sur son blog :
Ordinateur de Nana

La réponse est donnée à la question posée dans l’article de Mike. Oui, il y a des gens qui aiment en regarder d’autres lire, tout comme il y a (certes, en bien plus grand nombre) des gens pour aimer en regarder d’autres jouer à Dota 2 sur Twitch. Et le clip est plutôt bien apprécié, les commentaires sont positifs : Capture d'écran 2014-09-07 12.40.10

Malgré une allusion à la liseuse Kobo dans les commentaires, c’est le livre imprimé qui est mis en scène dans les vidéos de Booktubeuses : elles se filment souvent devant leur bibliothèque, saisissent les volumes, les brandissent, les rapprochent de la caméra, les lui présentent recto puis verso, les feuillettent. La PAL (Pile A Lire) tient une place importante, et sa représentation sert même d’illustration d’ouverture sur certaines vidéos. L’autre ingrédient essentiel des vidéos est la parole. Une parole rapide, vive, énergique. Les jeunes femmes se saisissent des livres, et en parlent à la caméra comme elles en parleraient à leur meilleure amie. Simplement, le discours est souvent émaillé de formules qui elles, ne pourraient figurer dans une conversation amicale, des formules qui soulignent l’exercice qui s’accomplit : les Booktubeuses s’adressent à leur audience, soulignent des évolutions dans leur choix de mise en scène, communiquent au sujet de leur propre chaîne comme cela se fait à la télévision. Cela pourrait agacer, bien au contraire, cela aide à définir le genre, cela les inscrit dans une pratique que ces formules aident à identifier, tout comme d’autres habitudes spécifiques à cette communauté. Certaines existaient déjà chez les blogueuses du livre, comme le swap, qui consiste à s’échanger des colis de livres, dont la présentation doit être soignée et importe autant que le contenu du colis, qui contient généralement des petits cadeaux, des douceurs, des friandises en plus des livres. Un swap de livres numériques serait difficilement aussi photogénique, sans parler (s’il vous plaît, pas cette fois) des DRM qui le rendent – théoriquement – infaisable. Les swaps sont l’occasion de tourner des vidéos, le déballage du colis étant mis en scène à l’écran, et certaines vidéos intègrent des inserts de texte donnant des précisions sur un titre au moment ou le livre est déballé.

 

6 416 personnes sont venues voir NiNe ouvrir son colis. Mais NiNe, qui a publié plusieurs vidéos à propos de liseuses, dont j’ai l’impression que certaines sont sponsorisées, indique en commentaire de l’une de ces vidéos qu’elle préfère lire sur liseuse, et ne lit sur papier que lorsqu’elle ne peut pas faire autrement.

Une autre rubrique récurrente pour les Youtubeurs en général et pour les Booktubeuses en particulier : « In my mailbox » : il s’agit de mentionner plus ou moins en détail les livres que l’on a reçu par la poste, ceux que l’on a acheté ou dont on vous a fait cadeau.

Le Courrier International a traduit cet été de larges extraits d’un article deCintia Perazo publié le 27juillet 2014 dansLa Nación, à Buenos Aires. L’Express s’est basé sur cet article pour publier le sien, fin août.

Je laisse Clélia conclure ce billet, elle répond avec beaucoup de simplicité et de gentillesse à des questions que vous vous posez peut-être sur les Booktubeurs, en se livrant à un autre des exercices de style de la communauté, la réponse à un Tag, ( le fait de devoir répondre à une liste de questions, et de faire ensuite parvenir cette liste à d’autres Booktubeurs). Elle s’étonne, vers la fin de la vidéo, du fait que les Booktubeurs français demeurent encore un mouvement relativement confidentiel, les chaînes les plus populaires n’atteignant pas les 10 000 abonnés, alors que dans le monde anglo-saxon et hispanophone il a déjà pris une ampleur beaucoup plus importante.

Le Tag, cette fois-ci, était nommé « confessions d’un booktubeur » :

Et voici les Booktubeurs cités dans cette vidéo :

Claudia : http://www.youtube.com/channel/UCK-1i…
Nine : http://www.youtube.com/channel/UCvpC3…
Manon :http://www.youtube.com/channel/UCqdvd…: http://www.youtube.com/channel/UCv4do…
Matilda : http://www.youtube.com/channel/UCLCvK…
Angélique : http://livroscope.blogspot.fr
Mathieu (oui, un garçon !) : http://www.youtube.com/channel/UCyUUO…
OhlalaChick : http://www.youtube.com/channel/UCuYJh…
LeBaldesLivres : http://www.youtube.com/channel/UC3sf3…
TheArwette : http://www.youtube.com/channel/UC22Vp…

Je ne suis pas certaine que Bob Stein a cela en tête, lorsqu’il parle de lecture sociale. Les différents dispositifs qu’il a mis en place successivement étaient bien plus centrés sur l’écrit, et sur le moyen de mettre en regard du texte initial les commentaires produits par des lecteurs. Il sera intéressant de voir si les dispositifs de lecture sociale intégreront à plus ou moins brève échéance des fonctionnalités de commentaire audio ou vidéo. Si l’on voulait pousser l’analogie avec Twitch, il faudrait qu’en plus de parler de leurs livres en les montrant, les booktubeuses puissent réellement lire en direct, tout en commentant leur lecture… Ce que j’ai vu jusqu’à présent, ce sont des expériences d’écriture en direct, ou parfois de lectures synchronisées.

Je crois qu’en réalité on n’a encore rien vu. Je crois aussi que de cette familiarité avec le langage audio-visuel, de cette aisance avec l’écran, la caméra, le maniement de sa propre image et l’usage de sa propre voix, vont surgir progressivement des formes d’expression dont nous n’avons pas encore idée. Pour l’instant, le livre tient une place centrale dans les vidéos présentées, et le phénomène n’a pas échappé aux éditeurs, qui adressent les leurs aux Booktubeurs comme ils en adressent depuis longtemps maintenant aux blogueurs du livre.

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On ne se refait pas.

w3c
Un groupe de travail sur l’annotation vient d’être créé au sein du W3C. Pour une introduction à quelques uns des problèmes posés par l’annotation des textes électroniques, je renvoie à ce billet de Marc Jahjah, qui date (déjà !) de 2011 (et fait, à la fin, allusion au défunt et magnifique site Small Demons…). Bon, si vous n’êtes pas complètement épuisé après la lecture du billet de Marc… je reprends.

Le but de ce groupe de travail est (je traduis),

… de fournir une approche ouverte pour l’annotation, la rendant possible dans les navigateurs et les systèmes de lecture, les librairies JavaScript et d’autres outils, de développer un écosystème d’annotation permettant aux utilisateurs d’avoir accès à leurs annotations depuis des environnement variés, d’être en mesure de les partager, de les archiver, et de les utiliser comme ils l’entendent.

Concrètement, cela signifie que le groupe de travail se donne pour objectif la fourniture d’ici juillet 2016 des éléments suivants (je traduis encore) :

1- Un modèle de données abstrait
2- Un vocabulaire : un vocabulaire précis décrivant/définissant le modèle de données
3- Des sérialisations : un ou deux formats de sérialisation du modèle de données abstrait, tels que JSON/JSON/-LD ou HTML
4- Une API HTML : Une spécification API pour créer, éditer, accéder, rechercher, gérer et par ailleurs de manipuler les annotations via HTTP.
5 – Une API côté client : une interface de scripts et des événements pour faciliter la création de systèmes d’annotations dans un navigateur, un système de lecture, un plugin Javascript.
6 – Un système d’ancrage pour les liens : un ou plusieurs mécanismes pour déterminer une série d’éléments de texte ou d’extraits d’autres média, qui pourront servir de cible pour une annotation, d’une manière prédictible et interopérable, avec une persistance lorsque le document subit certains changements ; ces mécanismes doivent fonctionner en HTML5 et doivent pouvoir s’étendre à des types de média et des formats additionnels.

Sans surprise, on trouve parmi les fondateurs de ce groupe de travail Ivan Hermann, du W3C, qui anime déjà, avec Liza Daily ( Safari Books Online ) et Markus Gylling (IDPF et consortium Daisy) le Digital Publishing Interest Group, un groupe qui n’a pas vocation à publier des recommandations, mais à s’assurer que les exigences liées à l’édition électronique soient prises en compte, lorsque cela est pertinent, par les recommandations publiées par le W3C. Le Digital Publishing Interest Group a déjà un projet qui cherche des manières d’adapter le draft du Groupe Open Annotation pour un usage en EPUB3. Ce travail, indique le communiqué,

 » pourrait mettre en évidence des besoins nouveaux en ce qui concerne la conception techniques des annotations que le Web Annotation Working Group pourrait prendre en compte. De même, les résultats produits par le Web Annotation Working Group(par exemple concernant l’API côté client) pourraient être pris en compte dans l’évolution future de l’EPUB, et pourraitconduire à des exigences supplémentaires. »

En attendant de suivre en vidéo(prévoir du café à cause du décalage horaire car elle a lieu à San Francisco) la cinquième édition de la conférenceBooks in Browsers.

Moi, j’aime bien quand l’IDPF discute avec le W3C. Et j’aime bien quand on parle à la fois de « Books » et de « Browsers ». On ne se refait pas.

 

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Contrairement à ce que beaucoup s’imaginent…

Panhard_&_Levassor_1894-1Lorsque les inventeurs de l’automobile mettent au point les premiers véhicules à moteur, les seuls qui maîtrisent les techniques permettant de doter ces engins d’une carrosseries sont les fabricants de voiture hippomobile, mi artisans, mi industriels, qui représentent à la fin des années 1870 une activité florissante.

« En 1878, la France compte 3500 carrossiers et charrons. À cette date, dans Paris, travaillent 70 constructeurs de voitures de luxe, 120 fabricants de voitures de commerce, 60 constructeurs de grosses voitures, 28 selliers-carrossiers, 14 fabricants de ressorts et d’essieux, 25 lanterniers, et deux importantes manufactures de roues. »

C’est vers eux que se tournent alors par exemple Panhard et Levassor, une fois fixé leur moteur encore améliorable sur un châssis :

« Ainsi, pour la première série automobile réalisée en 1891, Panhard et Levassor font appel aux carrossiers Belvalette frères, installés à Paris en 1851 et cités en juillet 1869 par le journal Le Cocher français « parmi les plus anciennes maisons qui se distinguent dans la carrosserie de luxe ». À partir de 1894 d’autres carrossiers, comme Georges Kellner et Million-Guiet, exécutent pour les châssis automobiles des caisses conformes au style de la carrosserie hippomobile et soumises à ses règles. Révolutionnaire sur le plan technique, l’automobile reste sans forme propre. Elle emprunte aux voitures à cheval leur architecture, leurs lignes, leurs modèles, leurs matériaux, et même leurs noms : berline, coupé, cabriolet, landaulet, phaéton, dos-à-dos, vis-à-visâ. » (Jean-Louis Libourel : Carrosserie hippomobile et premières automobiles )

belvaletteNon seulement l’industrie hippomobile n’a pas boudé l’automobile, mais elle a contribué, dès les années 1890, à faire de la France un pays en pointe dans ce domaine. Ce n’est pas la disparition progressive de l’utilisation des chevaux comme force motrice qui a produit la rupture qui a peu à peu restreint l’activité des selliers-carrossiers. Ceux-ci ont, contrairement à la légende, été les premiers à s’intéresser à l’automobile, et ont rapidement intégré la production de ces nouveaux véhicules à leur activité. Pendant les années où lentement l’automobile se substitue à la voiture tirée par le cheval, ils intègrent les innovations technologiques.

Cependant, ce ne sont ni la société Belvalette frères, ni celle de Georges Kellner ou de Million-Guiet qui ont donné leur nom aux voitures que nous connaissons encore. Ceux qui fondèrent Peugeot, Renault, puis Citroën, ne sont pas issus de l’univers des selliers-carrossiers… (Une exception cependant, en la personne de René Panhard, un Centralien petit-fils de sellier-carrossier, fils de loueur d’attelages hippomobiles, qui s’associe avec un camarade de l’école Centrale, Émile Levassor pour construire des voitures automobiles.)

La rupture, car rupture il y a bien eu en définitive, se produit bien plus tard, durant l’entre-deux guerres. L’industrie hippomobile s’est reconvertie complètement, et ne fabrique plus que des automobiles. Le monde est en prise a des changements radicaux. Se déplacer rapidement va bientôt cesser d’être un luxe réservé à la classe supérieure. S’adapter, ce n’est pas seulement être capable de construire des voitures munies de moteurs. C’est pouvoir les fabriquer en masse, et en baisser le coût, pour être en mesure d’en abaisser le prix afin d’en vendre le plus possible.Ceux qui ont fabriqué des voitures automobiles pour les riches early adopters de la fin du XIXème siècle, les carrossiers, selliers, lanterniers, fabricants d’essieux et de ressorts, ne sont pas hostiles au progrès, ni réticents à l’idée de faire évoluer leurs véhicules. Ce que ne peuvent imaginer ces spécialistes qui vivent de leur habileté et de la mise en Œuvre de savoirs-faire très élaborés, c’est le Fordisme : une manière complètement nouvelle de penser la fabrication d’un véhicule, la décomposition de ce processus en centaines de tâches simples, réalisables par des ouvriers peu qualifiés, l’optimisation des ateliers, la standardisation des pièces, la mise en place de la chaîne.

« (…) Ford s’est inspiré des techniques de chaînes de fabrication déjà développées dans l’industrie d’emballage de la viande à Chicago pour les appliquer à l’échelle plus large de la production automobile. Dans les trois mois qui suivirent l’installation des chaînes de montage à l’usine Ford de Highland Park en 1914, le temps nécessaire au montage d’un modèle T fut réduit à un dixième de ce qu’il était auparavant. »

Remplacer le cheval par un moteur n’a pas semblé poser de problèmes insurmontables aux carrossiers. Ce qui leur a été impossible, c’est de passer à la « carrosserie d’usine », de se lancer dans la production en grande série, de renoncer à leur idée de ce que devait être une voiture, de ce que devait savoir faire un ouvrier, du temps nécessaire pour produire un véhicule de qualité.

« On va alors passer de la carrosserie « sur mesure » à la carrosserie « de confection »: la carrosserie d’usine est née. L’offre de voitures complètes, et non plus seulement de châssis à habiller, va réduire l’activité des fabricants hippomobiles dans le domaine automobile à la seule réalisation de carrosseries de grand luxe. » (Jean-Louis Libourel )

Cela ne signifie pas que la mécanisation, dans les ateliers de ces fabricants, est inexistante, mais plutôt que cette mécanisation ne participe pas d’un processus global, et que l’usine n’est pas encore considérée elle-même comme une machine.

« L’usine automobile est un agglomérat d’ateliers où, même si la mécanisation est importante, règnent l’agent de maîtrise et le savoir-faire de l’ouvrier professionnel généralement payé à la pièce (des contrats négociés avec l’agent de maîtrise pour un atelier). Il n’y a pas de recherche de standardisation du produit, mais une grande diversité des modèles (souvent on ne produit que la carrosserie et on assemble des éléments achetés à l’extérieur, en outre, on ne produit pas que des automobiles). Desmachines, certes, mais peu spécialisées : tous les déplacements des éléments se font manuellement (on utilise des « diables »), une main-d’œuvre qualifiée mais aussi flexible (aisément transférable d’un poste à l’autre), l’habitude du travail en équipe (le maître entouré de ses compagnons), un nombre limité de travailleurs « improductifs ». Les pièces ne sont pas produites de façon standardisée (séries courtes) et surtout l’interchangeabilité n’existe pas : le finissage est toujours réalisé au montage. En un mot, à l’époque et – pour les historiens – aujourd’hui encore, ce système productif paraît condamné : n’était-il pas archaïque, tourné vers le temps nostalgique de l’industrie de luxe ?  » (Pierre Dockès. Les recettes fordistes et les marmites de l’histoire: (1907-1993)In: Revue économique. Volume 44, n°3, 1993. pp. 485-528)

Il ne faut pas non plus s’imaginer que cette transformation s’est effectuée sans heurts dans les usines Ford :

« Ford admit plus tard que les innovations révolutionnaires qu’il développait au sein de son entreprise furent à l’origine de la plus grande crise ouvrière qu’il ait connue dans sa carrière. Il dut reconnaître que le taux de rotation de sa main-d’œuvre au cours de la seule année 1913 avait atteint 390%, et que la répulsion des travailleurs pour le nouveau système de production était telle que vers la fin de 1913, si l’usine désirait accroître ses effectifs de 100 hommes, elle devait en embaucher 963. »(Keith Sward,The Legend of Henry Ford(New York, Atheneum, 1968), pp. 48-49. – cité dans cet article.)

Le développement de l’informatique et de la robotique remettent en cause les principes, jamais totalement appliqués en France, du fordisme, et on constate dans les années 70 l’apparition d’un nouveau système productif, présentant quelques analogies, nous fait remarquer encore Pierre Dockès, avec celui qui avait cours dans les ateliers du début du XXème siècle :

« Sans doute présentait-il de graves faiblesses, les plus importantes concernant la non-interchangeabilité des pièces, l’absence d’une recherche des économies d’échelle par un certain degré de standardisation, par l’organisation des ateliers en fonction de la logique des opérations successives. Mais nombre d’éléments sont intéressants lorsqu’on les observe depuis notre époque. Ainsi de la flexibilité des machines et des hommes, du travail en équipe, d’une certaine autonomie des équipes et des ateliers, de la haute qualification des hommes, du petit nombre d’« improductifs ». Comment ne pas songer au système Volvo ou Saab ? N’y avait-il pas là, après la greffe d’éléments issus du système américain de fabrication, la base pour un paradigme national, européen ? »

Il serait je crois déraisonnable et quelque peu hasardeux, dans un simple billet de blog, de chercher à tirer des enseignements directs de ces quelques éléments d’histoire de l’industrie automobile, en les transposant au monde du livre. Ce à quoi je m’autorise, parce que c’est amusant, c’est à remettre en cause quelques unes des idées reçues qui sont servies avec une grande régularité aux industries culturelles concernées par la révolution numérique. Il est assez plaisant de pouvoir notamment entamer le mythe du « constructeur de voitures à cheval tournant le dos au progrès, cramponné au passé au point de préférer disparaître que de s’adapter ».

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Medium, message, and beauty of web-based books

I’ve been out of my blog for too long, and to decide to write in english is a try to give me a reason to blog again : I know it’s a little childish, but sometimes I need challenges to do things, and to be able to write in english is a big one for me.

Another fact gives me a reason to re-open my blog : the reading, yesterday, of two texts, that surprisingly collided in my mind.

One was posted on Medium, and has been written by a Medium’s developer, Marcin Wichary . I’ve blogged about Medium at the opening of this platform, when it was still invite-only. It opened up to every one in October, and there is now a Medium’s app.

-The other text is from Liza Daily, and you can read it on the Safari Flow blog.

Marcin Wichary describes in detail all the steps needed by the author to find the best solution to improve the rendering of underlining on Medium. As Marcin explains in the introduction : “This is a story on how a quick evening project to fix the appearance of underlined Medium links turned into a month-long endeavour.” I will not summarize here the post that you can read (Medium tells us it is a 12 min read). Why is this text interesting for you, bookish people caring about digital publishing? Web developers, when building a platform dedicated to publishing, even if it’s web based only, become more and more like editors are : obsessed with details other people don’t have any idea about, asking themselves a lot of questions with the only goal of improving the readers comfort and pleasure. They also have to use the toolbox the web is giving them, and, because the purpose of this toolbox is very different from the purpose of publishing tools used for print publishing, they have in most cases to find creative ways to control the appearance of things.

The web toolbox priority was clearly not the appearance of text. It had more to do with ability to display text in different contexts, browsers, running on different OS, on screens with different sizes. And underlining is emblematic of web-culture : blue and underlined is the original code to indicate that by clicking on words you will access to another part of a document or to another document. Links were so magic for everybody in the beginning, that almost nobody did notice how ugly was this blue-underlined text. It was the indication of linking, and had, and has no equivalent in the printed world. But the testimony of Marcin is precious : it shows how seriously these questions are now taken by people that traditional publishers qualify as « pure-players » – when they don’t think to them as « barbarians ». Developers can revisit typography and lay out with fresh eyes. Hadrien Gardeur, who is in the list of the 100 french developers you must count with established by Tarik Krim in his report to Fleur Pellerin, is a good example of a computer engineer passionate by books… and how to make them look beautiful on screens… how to make to books a right place on the web.

As Hadrian, Liza is a very well known developer and entrepreneur in the digital publishing community. She is one of the excellent people you are never tired to hear in digital publishing conferences. Her post is (involuntarily) answering to Marcin’s one, even if Marcin is not using at all the ebook format. Medium is 100% web, and has nothing to do with ebooks (until somebody decides to publish some Medium posts as anthologies, as ebooks, and realize it could be part of Medium’s business model…) But ebooks have more and more to do with the web, and Liza is very well placed to know it, managing Safari Books Online and as co-chairing of the W3C Digital Publishing Interest Group. Among the questions that Liza is asking, one echoes to Marcin’s concern : “How can we preserve the beauty and order of professional typography in web-based books ?” As she says, the web is not entirely ready for books, and a lot of work has to be done to fix this.

Don’t you think it is more crucial to make the web ready for books, than to make books ready for the web ? To make the web ready for books will improve it. To try to make books perfectly ready for the web will make them run the risk of losing what makes them books. The real challenge is to keep the best of both worlds, not to merge them. And if new forms are invented, new kind of ways of sharing thoughts — and it’s already the case: that’s perfect.

This back-to-my-blog post is dedicated to Xavier Cazin : at the opening event of the Salon du Livre in Paris last week, we had one of these conversations about books, web and browsers that we love to have, forgetting to drink Champagne for one hour (but caught up after). And we concluded it saying : we have to begin new conversations on line, do discuss all these topics together again… At that moment, I decided to find a way to restart blogging.

This text has been posted simultaneously on Medium, here.

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I Put Sourcebooks In My Story

Ce n’est pas un grand secret : le paysage de l’édition est plutôt morose, ici aux USA autant qu’en Europe. Dans ce contexte, les résultats publiés par un éditeur dont j’ai déjà souvent parlé dans ce blog sont impressionnants : Sourcebooks, car c’est bien de la maison d’édition de Dominique Raccah dont il s’agit, affiche en effet cette année une croissance à deux chiffres.

Ce soir, un dîner réunissait les participants à la conférence Digital Book World, pendant lequel étaient remis les Digital Book Awards. Arrivée dans les derniers, j’étais un peu dépitée de voir complètes toutes les tables où se trouvaient des gens que je connaissais. Je me suis donc assise à une des rares tables où demeuraient encore des places. Dominique Raccah a surgi dix minutes plus tard, et s’est assise à côté de moi. Les excellents chiffres publiés récemment concernant sa maison d’édition ? Elle m’a confié avoir été surprise de l’ampleur du succès. Sourcebook est une maison qui a fait de l’innovation son fer de lance et cela implique de nombreuses initiatives, certaines qui réussissent, d’autres qui échouent. Dans cette entreprise, une solide culture de l’innovation s’est développée. Au bout du compte, et en particulier dans une période difficile, cette culture permet aux équipes de faire preuve de réactivité et et de créativité, plaçant ainsi l’entreprise dans une position favorable, qui contraste avec la morosité observée souvent ailleurs.

Au fil des années, j’ai entendu Dominique Raccah parler de publication agile, de lean publishing, de ses tentatives enthousiastes et décevantes dans le domaine des livres augmentés, d’une plateforme de poésie, de son partenariat avec Wattpad. Je demeure très impressionnée par l’énergie et l’enthousiasme d’une femme en perpétuel mouvement.

Parmi les succès récents de Sourcebooks, une initiative lancée lors du dernier salon du livre de jeunesse de Bologne :  » Put me in the story« , une collection de livres pour enfants personnalisés, à la fois dans leur version imprimée et sous forme d’appli. Un succès qui passe certainement par l’acquisition de licences de célèbres personnages aimés des enfants au USA, comme Elmo de Sesame Street.

« Actuellement, il existe deux manières de créer un livre personnalisé en utilisant « Put Me In The Story ».

Les livres d’histoires imprimés personnalisés : En utilisant le site web Put Me In The Story, vous pouvez créer et acheter un livre imprimé personnalisé de l’un de nos plus célèbres livres d’histoires pour votre enfant. En quelques étapes simples, vous pouvez créer votre propre dédicace, uploader une photo, et recevoir le livre chez vous pour des heures de plaisir de lecture avec votre enfant.

Les Editions Numériques Interactives et Personnalisées : En utilisant l’application iPad « Put Me In The Story » vous pouvez créer votre propres livre interactif et personnalisé, que vous et votre enfant pouvez apprécier ensemble. »

Pourquoi préférer raconter cela que de me livrer à un compte rendu des débats et rencontres de la journée ? Il n’est pas si courant de trouver des efforts d’innovation couronnés d’un succès aussi caractérisé. Et c’est important pour tous ceux qui souhaitent pousser l’innovation de pouvoir désormais citer cet exemple lorsque leurs projets se heurteront à des arguments toujours 100% rationnels, et toujours 100%… bloquants. C’est ce que je dis à Dominique. Aussitôt, son visage s’éclaire, elle sort on iPad et note cette idée, je verrai bien demain si elle la glisse dans son intervention…

 » Apprendre à échouer« , c’est joli sur les slides d’un consultant mais, dans la vraie vie, peu sont prêts à appliquer un tel programme. C’est cependant ce qu’a fait Sourcebooks. Mais ne croyez pas que cela relève de coups de tête ou de paris aventureux : de plus en plus, chez Sourcebooks, les décisions sont prises en observant de très près les données recueillies auprès des utilisateurs. Dominique déclarait à ce propos ce matin dans GoodEReader : « L’échec le plus extrême auquel les entreprises peuvent avoir à faire en ce moment est d’éliminer une nouvelle plateforme, une nouvelle technologie ou une nouvelle opportunité jugées non-viables, alors que trop souvent ces décisions ne sont pas basées sur de véritables données, mais sont au contraire basées sur une comparaison avec ce qui s’est toujours pratiqué dans l’industrie du livre. »

L’audace, l’enthousiasme, la curiosité, la créativité, parfois, ça réussit.

J’ajoute ce lien vers les slides que Dominique Raccah a présentées le lendemain du soir où j’ai écrit ce billet, lors de son intervention à la Conférence Digital Book World.

 

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Hackathon à la Bibliothèque Publique de New-York

hackathon NYPLIls sont silencieux. Majorité de garçons, et heureusement quelques filles aussi. Beaucoup ont des autocollants au dos de leur écran. Les échanges se font à voix basse. Le temps file, il est bientôt 16h, (c’est à dire minuit pour moi qui suis encore calée à l’heure française) et il va falloir être en mesure de montrer quelque chose qui tourne, car c’est là le principe d’un hackathon. Coder vite, coder à plusieurs, parfois devoir se résoudre à du « quick and dirty » pour terminer à temps. Sur une grande table au fond, les restes d’un buffet, boites en carton, bouteilles d’eau. Tiens, voici Eric Hellman, justement celui dont j’ai commenté la prose dans mon précédent billet. Il fait partie d’une équipe qui travaille sur un projet de club de livre en ligne, avec des fonctionnalités de création de groupes, et de partage d’annotations entre membres du groupe. Les équipes, une dizaine, sont au travail depuis samedi matin.

J’aperçois Ric Wright, l’homme qui coordonne à distance les développements qui s’effectuent actuellement au sein de la Fondation Readium, co-organisatrice de ce hackathon avec la New York Public Library. Ric m’indique que les participants sont pour la plupart soit des étudiants, soit des gens qui travaillent dans le monde des bibliothèques. Camille Pène, du Labo de l’Edition, est là aussi. J’espère bien que c’est pour nous mitonner un événement du même genre bientôt à Paris, et pourquoi pas avec la Fondation Readium à nouveau ? Hadrien Gardeur est en grande conversation avec Jake Hartnell. Je livetwitte mais avec deux mauvais hashtags, et sans le bon (#openbook2014), c’est malin.

Soudain le temps est écoulé. Certaines équipes ont besoin de quelques minutes supplémentaires et continuent à travailler pendant que les autres présentent leur projet. Bob Stein, venu assister aux présentations, écoute très attentivement parler des jeunes gens dont certains n’étaient pas nés qu’il travaillait déjà sur les questions qui les occupent aujourd’hui, la grande classe. Voici les projets présentés (traduction de la présentation faite sur Github) :

 

 

    • Liens profonds dans ( PressBooks) … Construire des livres avec des métadonnées riches. Le balisage nous permet de construire de nouvelles sortes de fonctionnalités : génération automatique d’index, navigation non linéaire, ressources supplémentaires internes ou externes ajourées au texte, APIs et plus. Cette démo ajoute du markup sémantique pour ajouter une couche de navigation contextuelle à un texte. C’est un point de départ pour réfléchir a) à des moyens user-friendly d’ajouter ce balisage, b) les choses utiles que nous pouvons faire avec ce balisage. Nous commençons avec un livre-web, mais pensons que nous pourrons étendre ces fonctionnalités à l’EPUB3.(Jean Kaplansky Max Fenton, Tendi M, and Hugh McGuire)

 

    • PDF (ou PDF + XML) vers du EPUB recomposable (Dave Mayo @ Harvard, Noreen @ IA Institute, Julia Pollacks @ Bronx Community College, Jeremy Baron)

 

    • Club du Livre en ligne, l’utilisateur peut créer un club, rejoindre un club existant, les membres accèdent en ligne au livre choisi par le club, peuvent surligner des passages et discuter des citations ou des passages, utliliser des fonctionnalités sociales etc. (Edina Vath)https://github.com/EdinaVath/openbook2014-club/

 

 

    • Travail avec DPLA StackLife (https://stacklife-dpla.law.harvard.edu/#) pour offrir à l’utilisateur d’un catalogue de bibliothèque en ligne une expérience similaire à celle qu’il trouve en bibliothèque.(Cori Allen, Emma Spencer, Elizabeth, Zach Cobel, Shawn Farrell and Amy Wolfe) Breadcrumbs & Beanstalks

 

 

  • plugin d’annotation

Et si un tel événement se déroulait en France bientôt, qui serait partant ?

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