Le travail d’un éditeur, selon Hugh McGuire

Hugh vient de me donner son accord, et je l’en remercie, pour que je publie la traduction que j’ai faite de son article, «  A Publisher’s Job Is to Provide a Good API for Books » paru hier sur le blog « transforming publishing ».

Le travail d’un éditeur, c’est de fournir de bonnes APIs pour ses livres.

par Hugh McGuire Voici une affirmation radicale : Le travail d’un éditeur, c’est de fournir de bonne APIs pour ses livres. Maintenant que presque tous les livres existent en version numérique, les bons éditeurs du futur sont ceux qui fourniront de bonnes APIs. Dans cet article, je vais explorer – pourquoi je considère que les éditeurs doivent fournir de bonnes APIs – pourquoi c’est vraiment plus simple et moins effrayant que ce que vous pourriez penser. – pourquoi le bon vieil index pourrait être le point de départ des APIs de livres.

Qu’est-ce qu’une API ?

Une API c’est un ensemble d’outils/protocoles qui permettent à différents éléments logiciels de communiquer les uns avec les autres, sous certaines conditions. Comme l’indique Terry Jones : “Tout comme une interface utilisateur donne à des humains accès à l’information, une API donne accès à cette information aux logiciels.” Voici quelques exemples d’APIs avec lesquelles vous êtes déjà probablement entrés en interaction : – Si un jour vous avez indiqué avoir aimé un site dans Facebook, vous avez utilisé une API – Si vous utilisez une application mobile ou un logiciel dédié pour lire et poster sur Twitter, vous utilisez l’API de Twitter – Si vous avez déjà payé quelque chose avec Paypal,vous avez utilisé une API – Si vous avez utilisé une application vous montrant une carte, vous avez utilisé une API. Il existe une autre manière de se représenter une API : une API permet à un service d’utiliser les données d’un autre service, selon des modalités bien définies.

Quel rapport avec les livres ?

Quel rapport avec les livres ? Les livres évoquent des émotions, inspirent des réflexions, contiennent et véhiculent des idées. Mais ils contiennent aussi de l’information (“data”). Ils sont, si vous préférez, faits de données. Une photo numérique, un film que vous regardez en streaming, un mp3 que vous écoutez sur votre iPod : ce sont des objets numériques faits de 0 et de 1, ils sont représentés comme des données. Nous y accédons grâce à la technologie. Les livres, et spécialement les livres numériques, sont également faits de données. De 0 et de 1, mais aussi, en fait, de HTML. Si nous commençons à réfléchir aux livres en tant que données, alors le rôle traditionnel de l’éditeur commence à ressembler au rôle d’un fournisseur d’API : le rôle d’un éditeur est de gérer la manière et les circonstances selon lesquelles les gens (lecteurs) et certains services ( librairies, bibliothèques, autres ?) accèdent aux livres (données). Nous savons à quoi ressemble ce job dans le vieux monde du papier et des magasins en dur, et nous sommes presque sûrs de bien le comprendre également dans le monde de l’EPUB et du Kindle. Mais, alors que nous entrons dans un monde où le numérique va être prééminent, les éditeurs pourraient, et bientôt devront, commencer à réfléchir à leurs APIs- d’une manière qui va bien au delà du simple “envoyons nos livres aux libraires”. (Rassurez-vous, je vais vous indiquer plus loin pourquoi cela ne sera pas trop inquiétant.)

Que fait un éditeur ?

Voici une définition historique d’un éditeur : Éditeur (n.m.) milieu du 15è s., “quelqu’un qui fait une annonce publique, nom de celui qui publie, (v.), La définition suivante : “celui dont le travail consiste à mettre en vente des livres, des périodiques, des gravures etc.” date, elle, de 1740. (Source: the Online Etymology Dictionary). Le travail d’un éditeur, c’est de rendre publique l’Œuvre créée par les auteurs, et, couramment, mais pas toujours, de monétiser ce travail. Ce n’est pas un secret : le numérique change l’environnement dans lequel les éditeurs exercent leur travail. Les librairies physiques sont en voie de disparition, les ventes en ligne augmentent, et les barrières à la publication, spécialement en ce qui concerne les livres numériques, ont déjà disparu. Dans ce monde où l’offre de livres explose, et où l’espace de vente physique des livres diminue, le travail qui consiste à “rendre public” commence à ressembler à quelque chose de vraiment différent. Quelques un des mécanismes selon lesquels les éditeurs atteignent leur but de “rendre public” des livres aux lecteurs et de les monétiser (à savoir : la production, la distribution et la vente) sont aujourd’hui accessibles aux auteurs eux-mêmes. Si les auteurs auto-édités peuvent faire de nombreuses choses que les éditeurs ont l’habitude de faire, alors trouver de nouvelles et de meilleures façons de “rendre public” les textes est ce qui va séparer les bons éditeurs des mauvais à l’avenir. Les meilleurs seront ceux avec qui les auteurs auront envie de travailler.Et un avantage que les éditeurs possèdent, et personne d’autre (même pas Amazon), c’est une connaissance précise du contexte et du contenu de leurs livres. Les éditeurs ont choisi leurs livres, les ont édités, corrigés, leur ont donné forme… Ils connaissent leurs livres de fond en comble. Cette connaissance devrait permettre aux éditeurs de mieux agréger l’intérêt porté à leurs livres. Le problème avec ceci, alors même que les éditeurs possèdent toute cette connaissance au sujet de leurs livres, est qu’ils ne savent pas vraiment comment partager cette connaissance, comment l’utiliser comme un moyen effectif de porter leurs livres à la connaissance d’un large public. Mais ce serait très facile pour les éditeurs de devenir meilleurs à cet exercice.

De quoi les éditeurs ont-ils une connaissance précise, exactement ?

Les livres peuvent être décrits de différentes manières : par leur couverture, leur nom d’auteur, leur titre, la liste de leurs chapitres, une description du livre. C’est ce que vous pourriez appeler les “métadonnées” ou bien “les informations que l’on communique aux libraires”. AAA l’intérieur du livre nous avons des mots et des phrases, peut-être quelques images. Et si vous regardez attentivement ces mots et ces phrases, vous pouvez définir un certain nombre de choses que vous trouvez dans ces phrases, telles que :
– des gens (véritables, ou personnages de fiction)
– des lieux (véritables ou de fiction)
– des époques, des dates.
Et il y a certaines autres choses que vous pourriez extraire :
– des concepts
– la référence à d’autres textes
– des citations de gens, de livres, d’articles, de films ou de chansons
– des exemples
Cette liste peut se prolonger encore et encore, et bien sûr dépend du genre de livre que vous produisez.

Et si je vous demandais de construire un index plutôt qu’une API ?

Si vous regardez la liste qui précède, particulièrement si vous produisez non pas de la fiction mais des livres scolaires ou des documents, vous êtes en train de hocher la tête et de dire : « â€¦ oui, c’est bien le genre de choses que nous mettons dans un index. »Et vous avez raison : un index est une sorte de “carte de ce qui se trouve à l’intérieur de votre livre, et de comment le trouver”. Un index, dans un livre papier traditionnel, est un outil fantastique pour savoir quel genre de choses se trouve dans un livre. Cela ne demande pas un gros effort de transformer un index lisible par un être humain en un index lisible par un ordinateur, ce qui en fait, plus ou moins, une API. (C’est ainsi que fonctionnent les moteurs de recherche : ils “indexent” chaque mot d’une page HTML, et chaque page d’un site, et ils fournissent une API qui permet aux gens et aux programmes de trouver des choses.)

Dans le cas des livres imprimés, la manière habituelle d’indexer un livre est de dresser la liste de ce qui vous semble important (les gens, les lieux, les dates, les références, les concepts etc.) et d’indiquer au lecteur à quelle page il pourra retrouver ces éléments. Vous imprimez cette liste et les références de pages et vous l’ajoutez à la fin de votre livre. Dans le cas des livres numériques, un (bon) index fera quelque chose de tout à fait différent : il listera les gens, les places, les concepts etc… et il les fera pointer directement vers l’endroit où ces items apparaissent dans le texte, via un lien, car les numéros de page n’ont pas beaucoup de sens pour les livres numériques. Donc, dans un livre numérique, qui, après tout n’est rien d’autre qu’une série de fichiers HTML avec quelques petits trucs en plus, une entrée d’index est associée à une ancre située à l’intérieur du fichier HTML, là où l’entrée apparait. Le fichier HTML/page sera une liste de liens qui pointent vers l’intérieur de votre livre là où apparaissent les entrée de votre index. Ajoutez un peu de données sémantiques, remuez, et vous vous êtes dotés d’une API ou du moins une carte à partir de laquelle bâtir votre API. Si au lieu de simplement faire un lien vers une ancre au niveau de votre index, vous passez un peu de temps supplémentaire pour ajouter quelques données, vous pourriez faire quelque chose comme ceci, qui spécifie qu’à cet endroit précis du texte, vous avez défini une personne nommée John Smith et vous pourrez également mentionner le fait qu’un élément du texte est un lieu.

Si vous voulez être encore plus sympa, vous pourriez réaliser ce balisage sémantique en vous basant sur des schémas comme schema.org ou bien microformats. Cela vous permettrait, à vous et à d’autres éditeurs, de standardiser la manière dont vous parlez des “choses qui figurent dans les livres. Maintenant, si vous faites ça avec votre livre complet, ou bien si vous le faites faire par quelqu’un d’autre, vous pourrez ensuite : a) générer un index (que vous auriez fait de toute manière) mais, et c’est bien plus intéressant, vous pourriez b) générer un index intelligent qui sait non seulement où apparaissent toutes les instances du terme « ohn Smith » mais :

– où apparaissent tous les gens

– où sont toutes les instances de gens nommés John

– où apparaissent toutes les instances des gens nommés Smith – que « ma chère Granny Smith » est une personne et que « ma délicieuse Granny Smith » est une pomme Et maintenant, en lieu et place d’un simple index, vous avez une carte sémantique complète de votre livre, une carte qui a été juste un petit peu plus difficile à produire qu’un index standard que vous auriez réalisé de toute manière. Et alors ? Avec une telle carte sémantique vous avez l’amorce d’une API incroyablement puissante. Si en plus d’avoir une carte sémantique… vous avez également votre livre disponibles en ligne (derrière un accès payant ou non) cela signifie que vous pouvez rendre cette API/carte sémantique accessible au monde enter, (gratuitement, ou bien à certaines conditions commerciales) et dire : je vous en prie, trouvez de merveilleuses idées pour utiliser le contenu de mon merveilleux livre !

Qu’est-ce que le monde va bien pouvoir faire avec votre API ?

Voici quelques unes des choses que vous aimeriez peut-être que les autres (ou bien vous mêmes) réalisent avec votre API : – extraire une liste des personnages dans le livre, et donner à chacun d’entre eux une petite biographie. Rassembler ces biographies dans un « guide biographique ». – Extraire une liste de localisations dans le livre et les placer sur une carte – Extraire les 500 mots autour de chaque apparition du concept « existentialisme » parmi tous les livres édités par des éditeurs qui ont rendu disponibles leur carte sémantique, et trier par décennie, influence, ou nationalité de l’auteur – Construire une frise chronologique indiquant où se trouvent les différents personnages à différentes périodes du récit. – Faire pointer cette frise chronologique vers une carte – Construire un outil de navigation permettant aux utilisateurs d’explorer un livre par ses personnages, ses lieux, ses dates, ses concepts. Vous pourrez également vouloir publier cette carte sémantique sur le web, ainsi Google et d’autres moteurs de recherche auront une compréhension détaillée de ce qu’il y a dans votre livre, et ainsi lorsque des gens rechercheront un type précis d’information qui apparaît à la page 119 de votre livre, le moteur sera capable de pointer vers chez vous. Il y a tant d’ « et cetera » ici, et nous venons à peine de commencer. Nous pouvons déjà trouver quelques petits reflets de tout cela : – Small Demons extrait des gens/lieux/choses via une API, il demande aux éditeurs leurs fichiers EPUB afin de pouvoir parcourir les fichiers, et ensuite afficher les produits, les autres livres, les films et les musiques trouvés à l’intérieur des livres. -Dracula Dissected s’appuie sur le texte de Bram Stoker, et permet d’y accéder par personnages, dates, lieux et vous pouvez ainsi explorer le livre de différentes manières. – Pearson’s FT Press API vous permet d’extraire de l’information de certains EPUBS et de faire diverses choses avec. – Wordnik.com extrait des phrases de définition de livres publiés par Simon and Schuster et les utilise comme phrases exemples pour les entrées d’un dictionnaire. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements, aux premiers exemples. Nous n’avons encore rien vu. Nous allons en voir beaucoup plus parce que le travail d’un éditeur est de « rendre public » et qu’une API est précisément faite pour mettre les données en capacité d’être rendues publiques. C’est exactement ce à quoi elles servent. Nous allons en voir plus parce qu’il apparaît que faire des APIs pour les livres est quelque chose de facile.

Et ça va arriver comment ?

Des outils comme PressBooks, qui est un outil de production de livres nativement web, rend très simple l’ajout d’une indexation sémantique, ou bien vous laisse le faire à la main; où, plus efficacement, vous permet de combiner les deux. Sélectionner le texte que vous souhaitez ajouter à votre fichier d’index, ajoutez les métadonnées qui vont bien (est-ce une personne, un concept ?) et appuyez sur « go ». Le défi, c’est de faire un bon fichier d’index, bien sûr, avec de bonnes métadonnées et selon un bon schéma. Nous savons bien maintenant faire des livres numériques. Voyons maintenant comment traiter la manière dont on peut relier les livres entre eux via des APIs. Y arriver n’est pas si difficile : la clé pour pour réaliser ces fameuses APIs , c’est ce bon vieil index. (Merci à Brian O’Leary, Laura Dawson,Terry Jones, Erin McKean, et Dac Chartrand, qui m’ont aidé à améliorer la première version de cet article.)

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et les pages tomberont comme de la cendre

‘These pages fall like ash’, c’est le titre de l’un des projets annoncés aujourd’hui par l’organisme anglais REACT (Research and Entreprises in Art and Creative Technologies), qui rassemble des chercheurs universitaires, des entreprises et des artistes. Au sein de leur programme « Books & Print Sandbox », ils annoncent le financement de huit expérimentations, qui ne sont pas considérées comme des entités séparées, mais forment une communauté de projet, et explorent le futur du livre et de la manière dont nous lisons, apprenons et publions.

« Comme toujours, Sandbox va apporter son support à ce groupe en tant que communauté, et cela inclut le partage, la porosité, et la contribution à la formation des idées les uns des autres. Il s’agit d’un laboratoire structuré pour l’innovation, qui comprend des blogs de recherche, des présentations, des événements « feedback », et un soutien technique. Un groupe de conseillers issus du monde de l’industrie apportera aussi son soutien dans le développement des idées et l’exploration des voies potentielles pour accompagner celles-ci jusqu’à la mise en marché avec le soutien d’un consultant en développement d’affaires. »

Le site présente ainsi le projet These pages fall like ash :

« Le collectif d’artistes Circumstance et Tom Abba de l’Université du West England vont travailler avec les auteurs Nick Harkaway et Neil Gaiman pour explorer ce que le livre, l’éditeur et l’auteur peuvent devenir dans un projet orienté plateforme numérique. Ils vont proposer au public de participer à une expérience narrative, en accédant, modifiant et écrivant une histoire localisée qui explorera les possibilités de cette forme et subvertira les normes de l’édition traditionnelle. »

Le rapprochement entre auteurs / artistes / universitaires /entreprises me semble particulièrement intéressant, ainsi que cette vision d’une multiplicité de projets qui ne sont pas concurrents les uns avec les autres mais se développent conjointement dans l’échange.

à suivre… (on peut s’inscrire pour se faire à leur newsletter.)

14 janvier 2025 : un résultat du projet ici.

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Vos prévisions pour 2013

Je vous ai interrogés sur Twitter pour connaître vos prévisions 2013 concernant l’édition et le numérique, vous promettant de commenter 10 de ces prévisions sur mon blog.

Je vais les commenter par ordre d’arrivée, la prime au plus réactif, à savoir Daniel Bourrion :

Prévision numéro 1 (Daniel Bourrion) : En 2013, les éditeurs traditionnels chasseront dans les blogs existants pour repérer des auteurs à intégrer dans leurs pools 2013.
Oui, en 2013, les éditeurs cessent d’ouvrir les lourdes enveloppes qui arrivent chaque matin au courrier. Au lieu de ça, ils affutent leurs agrégateurs, et s’abonnent aux mille et un blogs de la biblioblogosphère. Ils ne manquent pas une livraison des vases communicants. Lorsqu’ils découvrent un auteur qui leur plait, ils lui envoient un mail : j’aime beaucoup ce que vous faites, accepteriez-vous d’être publiés dans ma nouvelle collection ? Mais l’auteur ne leur répond pas. Parce qu’il s’est entraîné tout seul à fabriquer des epubs et qu’il vend désormais le recueil de ses billets à 2,99 € chez Amazon. Ou bien parce qu’il n’aime pas les éditeurs traditionnels (qui n’ont rien compris mais rien vraiment rien au numérique) et a déjà signé un contrat moderne avec un éditeur pas traditionnel. Alors les pauvres éditeurs traditionnels sont obligés de se rabattre sur les pauvres auteurs pas modernes qui n’ont pas de blogs et envoient leur manuscrit par la poste.

Prévision numéro 2 (Daniel Bourrion) : en 2013, le prix Goncourt est décerné à un blog d’écrivain

Les débats ont été rudes. La vieille question de la définition du livre numérique a surgi dès le premier tour. On le sait grâce aux tweets de @bernardpivot, lors de leur déjeuner chez Drouant du 5 février 2013, les académiciens se sont mis d’accord sur celle-ci : « Un livre numérique est un livre, du moment qu’on peut le lire sur son Kindle. » Ils avaient tous lu ce billet de François Bon, sur l’indication de Pierre Assouline, qui l’avait imprimé pour Edmonde Charles-Roux qui n’aime pas beaucoup lire des longs textes sur écran. Dès que cette définition a été connue, le nombre de blogs d’écrivains s’est mis à augmenter à grande vitesse. Certains ont adressé leur manuscrit presque terminé à des professionnels pour qu’il soit transformé en blog le plus vite possible. Je ne veux pas vous donner le nom de celui qui l’a finalement emporté, mais son éditeur a aussitôt proposé une version imprimée de son blog qui s’est vendue comme des petits pains, bien que le blog soit resté en accès libre.

Prévision numéro 4 (Luc Vigier) ; en 2013 le prêt de livres numériques se développe, ainsi que sa location.

Tout le monde a dit oui. Tout le monde. Les auteurs. Les éditeurs. Les bibliothécaires. Les collectivités locales. Le ministère. Et c’est parti. En 2013 les abonnés aux bibliothèques ont la possibilité d’emprunter beaucoup plus facilement et massivement qu’avant des livres numériques. Un super stress a disparu de la vie de quantités de gens : penser à rapporter leurs livres à la bibliothèque (ce qui veut dire d’abord : les retrouver dans la maison, j’étais sûre de l’avoir posé là, c’est ton frère qui l’a emmené chez Mamie, mince, il m’en manque encore un, c’était quoi déjà ?). Désormais, leurs livres numériques se rapportent tous seuls. Mais pour ne pas ce que ce soit trop brutal, un mail les prévient : dans deux jours, votre prêt arrive à échéance : désirez-vous le prolonger ?

Prévision numéro 5 (Luc Vigier) : en 2013 le web sémantique se développe. Désormais, vos phrases se finissent toutes seules.

Vous croyez que j’ai rédigé ce paragraphe ? Pas du tout. Je n’ai écrit que : « Vous croyez que… » et ensuite c’est ma nouvelle extension wordpress qui a pris le relais et s’est chargé d’écrire la suite. Sauf que là, maintenant, je la débraye, parce que j’aime aussi écrire un peu moi-même. Hubert, au secours, tu serais super sur cette prévision là, je sens que je vais aller traîner un peu sur La Feuille pour trouver des idées. Ou bien chez Christian. Lisez Christian Fauré, c’est des idées en veux-tu en voilà, et il utilise très peu l’écriture automatique, il est comme moi, il la débraye quasiment à chaque fois.

En réalité, les techniques d’écriture automatique ne semblent pas encore avoir atteint le degré de perfection espéré par ma paresse. Aujourd’hui les techniques de « c ontent spinning » ne permettent pas de finir la phrase que vous avez commencée. Mais à partir d’une phrase « master », contenant une structure verbale et pour chaque mot de la phrase une liste de synonymes, autorisent la production, à partir d’une matrice, de plusieurs textes en agençant différemmentles séries de mots proposé à chaque emplacement du texte. Le contexte d’utilisation du « content spinning » le place très loin des cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau et de tous les travaux oulipiens : cette technique est en effet utilisée pour créer artificiellement des textes à partir d’un texte préexistant, et est destinée à tromper les robots des moteurs de recherche afin d’obtenir une meilleure indexation.

Sinon, pour comprendre ce qu’est le web sémantique dont parle Luc Vigier dans son tweet, il faut s’immerger dans les petites cases.

Prévision numéro 6 (Nevermore ) : En 2013, rares seront les éditeurs à garantir un accès numérique pérenne, librement cessible, à tout lecteur.

Voilà qui ne m’étonne pas de Nevermore, une prévision sophistiquée et un peu inquiétante. Si on le dit autrement, la plupart des éditeurs à qui vous achetez vos livres numériques ne peuvent vous garantir que vous y accéderez très longtemps, pas plus qu’ils ne peuvent vous autoriser à les revendre.

Parce que je n’ai pas le courage de me lancer sur le terrain très cahotique d’une analyse complexe (du type : quand vous achetez un livre numérique et que vous téléchargez un fichier, êtes vous propriétaire du fichier ou simplement d’une licence d’accès au contenu de ce fichier ? ), je proposerai plutôt une parade toute simple : achetez des livres imprimés. Ils seront à vous. Tout ce que vous pourrez craindre à leur sujet c’est qu’ils soient dérobés par des cambrioleurs, qu’ils disparaissent dans un incendie, tombent dans la baignoire, soient oubliés dans un train ou, plus probablement, qu’un ami très cher à qui vous les prêtez ne vous les rende pas. Vous pourrez les revendre si vous ne les aimez plus, ou bien si vous manquez de place chez vous. Aujourd’hui, des applications vous permettent de les mettre en vente sur le web en vingt secondes en scannant simplement leur code barre.

Noter tout de même que les éditeurs ne sont pas les seuls concernés par cette problématique. Certains revendeurs (parfois, on préfère ne pas écrire « libraires ») se sont illustrés dans leur capacité à intervenir sur la bibliothèque numérique de leurs clients sans leur demander leur avis. D’autres ont fait faillite, sans possibilité pour leurs clients de conserver une possibilité de re-télécharger les livres achetés chez eux. Signaler aussi : c’est l’un des axes de travail du projet MO3T, que de renforcer la pérennité de l’accès aux livres numériques.

Prévision numéro 7 (Cédric Naux) L’auto-édition fera une star et 1000 perdants

Cf prévision numéro 1

révision numéro 8 (Cédric Naux et Florence Trocmé) : en 2013, les liseuses seront mises à mal par les tablettes, mais resteront une niche pour gros lecteurs

Merci Cédric et Florence pour cette prévision qui reprend un des buzz de ces dernières semaines, et me rappelle la controverse du grille-pain, (un texte auquel je ne retirerais pas une virgule).

Une chose est certaine : aux Etats-Unis, le ralentissement de la progression de la part des livres numériques dans les ventes globales de livre a coïncidé avec les ventes de tablettes, et ce ralentissement s’est confirmé en 2013 : les gros lecteurs ont basculé les premiers, et se sont équipés massivement de liseuses. Ceux qui aujourd’hui s’équipent lisent moins, et préfèrent la tablette à la liseuse.

Lorsque un lecteur préfère s’équiper d’une tablette plutôt que d’une liseuse, c’est pour l’éditeur un défi plus grand : les livres, sur ces terminaux, sont en concurrence avec les jeux, les films, la musique, le web. Mais c’est aussi une opportunité : celle de pouvoir propose des livres en couleur dont le rendu était médiocre sur les liseuses, ainsi que des livres prolongés par de l’interactivité et des éléments multimédia. Maintenant, les liseuses possèdent des avantages qui les ont fait adopter par des millions de lecteurs : la légèreté, l’autonomie, le prix de plus en plus bas, la possibilité de lire au soleil. Il est possible que leur prix continue de baisser, et peu probable qu’elles disparaissent très rapidement. Puisque elles sont les compagnes des gros lecteurs, souhaitons leur longue vie. Et puis, elles portent un si joli nom 😉

prévision numéro 9 (Cédric Naux) : En 2013, la distribution cherchera à sortir des griffes d’AGAK

Une prévision audacieuse serait : en 2013, la distribution réussira à sortir des griffes d’AGAK. (On se croirait dans Rudyard Kipling). Les libraires, soutenus par les distributeurs et les éditeurs, se seront organisés pour développer un système très performant de vente de livres numériques offrant des avantages considérables si on le compare aux médiocres plateformes proposées par ces pauvres AGAK aux griffes usées. Toutes sortes de librairies numériques en ligne verront le jour, présentant, grâce à des métadonnées enrichies et des catégories détaillées, une immense variété de livres numériques, pour tous les goûts, à tous les prix, lisibles sur tous les terminaux. C’est assez audacieux, d’accord. Pour les catégories détaillées : c’est possible dès maintenant, une nouvelle nomenclature enrichie est disponible sur le site de la CLIL. Pour le reste, on a dit 2013, il reste un (petit peu) de temps.

prévision numéro 10 (Cédric Naux) : en 2013, l’enrichi continue à se chercher un modèle

Je laisse tomber la fiscalité parce qu’autrement ça ferait 11 prévisions. (Ouf !).

Pour le livre enrichi, en 2013, avec l’arrivée massives des tablettes, nous verrons si :
– il existe une véritable appétence du public (autre que celui des tout petits) pour les livres enrichis ou augmentés, appelez-les comme vous voulez, (je ne peux pas non plus truster toutes les dénominations dans le domaine du livre numérique).
– il est possible de trouver des moyens de produire de tels livres à des coûts non prohibitifs
– les éditeurs se montrent dans ce domaine capables d’intégrer de nouvelles compétences, à même de mener à bien de manière régulière de tels projets, y compris en collaboration avec des start-ups spécialisées.
– de nouvelles générations d’auteurs ou des groupes d’auteurs multimédia apportent des projets tirant pleinement parti des possibilités d’un format comme l’EPUB 3, avec pertinence et talent.

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Que pouvons-nous apprendre des webdesigners ?

Le livre numérique, c’est « juste » un fichier…

À la jonction entre les deux significations du terme « livre » (livre en tant qu’œuvre de l’esprit ou livre en tant qu’objet matériel), se situent des opérations de mise en forme qui sont transformées radicalement dès lors qu’il s’agit de produire un livre numérique : ces opérations à la fois intellectuelles et artistiques qui participent au sens et au propos du livre conditionnent également sa matérialité, son aspect. Contrairement à ce que certains imaginent, la fabrication d’un livre numérique est tout sauf triviale. Comment ça ? L’édition ne s’est elle pas déjà informatisée depuis de longues années ? N’est-ce pas déjà un fichier informatique qui est aujourd’hui adressé à l’imprimeur ? Qu’il n’y aurait plus qu’à mettre à disposition des e-libraires ? En réalité, le fichier destiné à l’imprimeur n’est en aucun cas utilisable tel quel pour la lecture numérique. Il a été mis en forme en vue d’une impression, et non d’un affichage sur des terminaux de différentes tailles, disposant de différents moteurs de lecture, supportant différents formats. La production de fichiers numériques susceptibles d’offrir une expérience de lecture numérique satisfaisante nécessite le recours à des savoir-faire particuliers ainsi que la mise en place d’un process de production itératif (produire, tester sur différents terminaux, corriger, tester etc.) jusqu’à obtention d’un fichier, en réalité de plusieurs fichiers, de la qualité requise. Que certaines de ces opérations soient ou non sous-traitées à des sociétés extérieures ne change rien à l’affaire : c’est l’éditeur qui est responsable, en particulier devant l’auteur, de la qualité du fichier qui va être mis en circulation. C’est lui qui signe le « bon à publier ».

ça ressemble au web…

La réalisation d’un livre numérique n’est-elle pas, de ce fait, plus proche dans les compétences qu’elle requiert, de l’activité d’unwebdesigner que de celles des maquettistes et des compositeurs du monde de l’imprimé ? Le webdesign est né dans dans un milieu technique très contraint : faible bande passante, performances médiocres et disparité dans l’interprétation des standards des navigateurs, outils frustes, écrans faiblement définis, affichages lents, nombre de polices de caractères limité. Même si les performances des écrans et de la bande passante ont évolué, le talent du webdesigner réside encore aujourd’hui dans sa capacité à intégrer des contraintes qui demeurent fortes pour créer des sites beaux et agréables à consulter, d’une navigation aisée, mais également faciles à mettre à jour et à faire évoluer. Une séparation radicale a aussi eu lieu en ce qui concerne le webdesign : on a rapidement cessé de mélanger dans un même fichier la description et l’expression du contenu des instructions concernant sa mise en forme. Ce qui permet, en modifiant un fichier, de modifier l’aspect de tout un site web. Ce qui offre aussi la possibilité de faire circuler les éléments de contenu et de les afficher dans des environnements graphiques très différents les uns des autres.

À celui qui réalise des livres numériques, le webdesigner pourra enseigner une certaine humilité: ni l’un ni l’autre n’ont sur le résultat final de leur travail le même contrôle absolu que celui dont dispose le maquettiste dans le monde de l’imprimé. Cette philosophie du webdesigner, qui, ayant accepté une certaine perte de contrôle, met tout son talent à proposer cependant la meilleure expérience de lecture et de navigation possible, est très utile au e-book designer. Et les deux métiers ont ceci de commun que pour les pratiquer avec succès, il faut marier une grande sensibilité visuelle avec un intérêt pour la dimension « computationnelle », le goût de l’image et celui du code.

…mais ce n’est pas le web.

Le webdesign ignore cependant presque tout de ce qu’est un livre, et apporte rarement des solutions satisfaisantes aux problèmes spécifiques posés au ebook designer. Comment permettre le confort d’une lecture immersive ? Cela passe par la réponse à une infinité de questions du type : “Comment gérer les notes en bas de pages ?” “ Comment obtenir un affichage convenable des lettrines ?” “Quel repère dans l’avancement d’un texte si le numéro de page n’est plus attaché, selon la taille de l’écran utilisé pour le lire, à la même portion de texte ?”…Les réponses à ces questions ne sont pas toutes du ressort de celui qui travaille à produire le fichier numérique : certaines sont apportéesau niveau du logiciel de lecture, d’autres au niveau du format de fichier. La personne en charge de la production du fichier doit cependant être consciente de la latitude dont elle dispose, afin de l’exploiter au maximum.Les subtiles différences entre les plateformes de vente de livres numériques dans la manière d’accommoder les formats débouchent sur des différences dans l’affichage d’un même livre selon qu’il est acquis sur une ou l’autre plateforme, consulté sur l’un ou l’autre terminal. Le travail de préparation des fichiers ressemble fort aux tests que les développeurs web doivent accomplir sur les différents navigateurs (internet explorer, safari, firefox etc.) dont la plupart ne respectent qu’imparfaitement les spécifications publiées par le w3c. L’utilisation d’un unique fichier, qui procurerait une expérience de lecture parfaitement satisfaisante sur l’ensemble des plateformes et la totalité des dispositifs de lecture est aujourd’hui illusoire, ou bien oblige à s’aligner sur le moteur de lecture le moins performant. Pour qui reste attaché à laqualité, pourqui ne s’en remet pas au hasard pour décider de la forme d’un texte, plusieurs variantes numériques d’un même titre doivent être produites, chacune prenant en compte les spécificités de chaque plateforme.

Je suis loin d’avoir fait le tour de la question, et les modes d’organisation diffèrent grandement selon la taille des maisons d’édition, le nombre et le type de livres produits. Certains secteurs d’édition (guides de voyage par exemple) se prêtent plus que d’autres à la mise en place de process de production quasi automatisés, la structuration des textes se faisant dès l’amont (XML first), les auteurs appelés à travailler directement sur des outils effectuant cette structuration de manière transparente.

J’aurai plaisir à lire vos réactions et témoignages sur ces questions dans les commentaires…

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Quelques signes noirs sur un écran blanc

Deux histoires se croisent lorsque advient le livre numérique : celle, pluri-centenaire, du livre et de l’édition, et la brève histoire du web. Indifférent au devenir du livre, le texte numérique parcourt librement le web, et des écritures singulières y apparaissent, loin des contraintes et des exigences de l’édition traditionnelle. Inquiet de cette prolifération, de ces flux innombrables, mais fasciné par la puissance du web, le livre se défait de son corps de colle et de papier, et se lance dans l’aventure numérique.

Séparation : détachement et émancipation

Pour ceux des livres qui ont été publiés avant l’informatisation de la fabrication, la numérisation passe par l’utilisation d’un scanner : on dit alors qu’on “part du papier”, et c’est bien cela, c’est bien ce que fait le texte, il “s’en va du papier”, littéralement. Tel un scalpel, le scanner détache les mots de la matérialité de la page, afin qu’ils se tiennent prêts pour une autre forme de matérialité, celle, mouvante, des écrans. Le livre en tant qu’Œuvre de l’esprit s’y trouve séparé du livre comme objet, et cette séparation dont les conséquences ne nous sont pas encore toutes apparues est un événement d’envergure, inédit dans notre histoire culturelle.

La numérisation est une séparation, et comme toute séparation elle comporte au moins deux versants :
– l’un qui consiste en un arrachement, auquel on associe des sentiments négatifs : douleur, crainte, incertitude, abandon, sentiment de perte. Ceux qui perçoivent le processus de numérisation comme un risque s’interrogent : quelle garantie avons-nous qu’un texte, une fois séparé de la forme matérielle que lui offrait le livre imprimé, conservera les caractéristiques qui font de lui un livre ? Qui nous dit qu’il continuera d’être correctement associé à son auteur ? Qu’il conservera son intégrité ? Qu’il sera perçu comme un discours singulier ? Qu’il ne sera pas noyé ou dilué dans les innombrables flux textuels qui parcourent le web ?
Ces questions ne sont pas dictées par le refus du progrès ou par un attachement irraisonné au passé. Elles ne sont pas causées par le mépris de la technologie ou par un désir de résistance au changement. Elles expriment au contraire une inquiétude légitime, liée à la fragilité du texte numérique, à la conscience de la difficulté et de la complexité de la transition aujourd’hui en cours. Elles expriment aussi un attachement au livre dans sa matérialité qui n’a rien de fétichiste, mais accorde une importance aux modalités d’inscription d’un texte, à sa présentation, à son incarnation dans un objet reproductible qui le protège et le propulse, et à l’inscription de cet objet dans un milieu humain qui se charge de sa circulation.

– l’autre dimension d’une séparation relève de la libération, de l’affranchissement, c’est elle qui permet de considérer l’arrivée du livre numérique comme une opportunité. Elle n’est pas en contradiction avec l’expression de questions inquiètes. Numérisé, le texte est fragile, c’est vrai, il n’est plus protégé par une forme matérielle qui l’enclot, lui assigne une existence d’objet, le dote d’une existence physique qui facilite son identification et sa liaison avec d’autres objets. Fragile, le texte numérique est aussi disponible pour de nouvelles aventures. Il entre dans un nouveau régime. Numérique, le texte goûte les joies de l’ubiquité, se rit des distances et des frontières, tend à rapprocher lecture et écriture. Numérique, le texte se rapproche du code, il devient lisible par des automates. Il rejoint l’océan des données qu’il est possible de rechercher, rassembler, traiter, interpréter, comparer, partager.

Réussir la transition vers le numérique, ce serait réussir cette séparation que la numérisation engendre sans chercher à nier ou moquer l’inquiétude que certains éprouvent, tout en faisant toute la place nécessaire à l’innovation. Ce serait apporter des réponses aux questions inquiètes tout en imaginant des formes et des usages liées aux possibilités offertes par le nouveau régime que le numérique offre aux textes, auxquels peuvent s’articuler images fixes ou animées, sons, interactivité.

Peut-être est-ce aussi, pour les éditeurs qui disposent d’un catalogue comportant différents types de livres, apprendre à effectuer parmi les titres, un tri entre ceux dont le destin numérique n’affecte pas fondamentalement la nature, et ceux qui, une fois disponibles sous forme numérique, apporteront plus de satisfaction et rendront un meilleur service aux lecteurs s’ils abandonnent leur statut de livre et deviennent des objets numériques d’un autre type, plus proche d’un service que d’un objet éditorial. Certains titresont vocation, en version numérique, à demeurer tout simplement des livres, pour le plus grand intérêt et plaisir des lecteurs, et cela concerne également l’édition purement numérique, qui peut chercher à offrir en numérique une expérience de lecture comparable à l’expérience du livre imprimé, même s’il n’existe aucune version imprimée du livre, ou si celle-ci n’est produite que si un lecteur la demande. D’autres livresn’étaient des livres, du temps ou l’impression était la seule option, que “faute de mieux”, et leur version numérique aura tout à gagner à abandonner les limitations du livre imprimé : pourquoi se priver d’ajouter du son dans une méthode de langues, un algorithme de calcul des quantités d’ingrédients selon le nombre de convives dans une application de recettes de cuisine, des outils de géolocalisation dans un guide de voyage, ou des simulations en trois dimensions dans un livre de mathématiques ?

L’édition numérique, ce pourrait être l’ensemble des efforts qui sont faits pour répondre aux “questions inquiètes”. Parmi ces efforts, on peut évoquer notamment :
– l’adoption deformats de fichier susceptibles d’accueillir l’ensemble des spécificités des livres.
– la standardisation de l’expression des métadonnées, le choix de formats d’échanges communs à tous les acteurs.
– le respect des règles d’ identification des titres, indispensables à la maîtrise de leur circulation
– la numérisation des catalogues, l’abondance de titres disponibles étant une condition sine qua non du développement des pratiques de lecture numérique.

Ces efforts visent à faire en sorte que les livres deviennent des objets numériques disponibles sur le web, des objets sociaux, politiques et poétiques présents sur le web, et identifiés sur le web en tant que livres. Ils sont portés par une très grande diversités d’acteurs, éditeurs 100% numériques ou éditeurs traditionnels, mais aussi auteurs, développeurs, distributeurs, libraires, bibliothécaires, partout dans le monde, dans des structures de toutes tailles, avançant à des rythmes et à des échelles qui leur sont propres.

Ceux qui sont fatigués d’entendre parler de numérique, peut-être peut-on leur rappeler que ce qui se joue, ce n’est pas une partie « contre le livre », « contre l’édition », ou « contre la librairie ». Bien au contraire, il est fondamental de construire l’édition numérique, et qu’elle soit construite par des gens qui aiment les livres, par de grands lecteurs, des éditeurs, des gens qui aiment fréquenter les bons auteurs, des gens qui se sont construits avec les livres et ne peuvent imaginer un monde qui en soit privé. Si ceux qui aiment les livres se détournent du devenir numérique des livres, d’autres s’en occuperont, et probablement pas d’une manière qui satisfera les premiers. Et, faut-il le rappeler, l’édition numérique ne peut se construire « contre le web », bien au contraire, c’est la pratique, la connaissance et l’intérêt pour le web de ceux qui mettent en place l’édition numérique qui en garantira la réussite, qui n’est absolument pas gagnée d’avance.

Ce projet semblera aux plus enthousiastes des technologies numériques bien minimal, qui consiste à « simplement » rendre disponibles des versions numériques de ce qui paraît aussi sous forme imprimée. Je reviendrai dans un prochain billet sur les complexités que ce projet recèle. Et cette étape minimale ne ferme pas la porte, bien entendu, à l’apparition de nouvelles expériences de lecture hybrides, ni au développement de nouveaux objets éditoriaux. Il s’agit de garantir, dans l’espace du web, l’existence d’une offre de livres numériques qui conserve la caractéristique la plus extraordinaire des livres imprimés : leur capacité à ouvrir, dans nos esprits, des espaces imaginaires qu’un rien est susceptible de mettre en mouvement. Un rien : quelques signes noirs sur un écran blanc.

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À tête reposée

Medium, version alpha

Vous connaissez Branch ? Medium ? App.net ? Svbtle ? Vous êtiez en vacances, c’est ça ? Ne dites pas non, je les ai vues sur Instagram vos photos de Toscane, du Lubéron de la Bretagne, du bassin d’Arcachon, et toi, oui, toi, j’ai vu tes photos de Normandie sous la pluie. Y avait pas de Wifi. Oui. D’accord. Et la 3G alors ? Ah bon, vous avez débranché. Un été sans fil RSS à la patte. Bien :ces types de la Silicon Valley s’arrachent pendant que vous, vous gonflez des canards en plastique. Et vous n’aurez pas fini d’étaler de l’après-soleil sur les épaules de votre petit dernier qu’ils auront changé le web, comme ça, sans prévenir, en plein mois d’août.

Prenez Evan Williams, l’inventeur de Blogger (racheté par Google en 2003). Il aurait pu faire un break après ça. Non – penses-tu ! – il rencontre Jack Dorsey, le gars qui a eu l’idée de Twitter, et c’est parti. Qu’est-ce qu’on fait, une fois qu’on a lancé Blogger et Twitter ? On réfléchit, on regarde le web tel qu’il est, et on se dit : c’est bien, maintenant, tout le monde peut partager ses idées avec tout le monde. Seulement voilà, c’est une sacré pagaille, un grand brouhaha. Il existe bien sûr de nombreux moyens pour retrouver son chemin, trouver dans les meules de foin les aiguilles qui vont piquer notre curiosité et notre imagination. Mais pourquoi ne pas essayer plutôt de résoudre le problème en amont ? Est-il possible de créer une plateforme de publication qui, par sa conception même, sa structure, les concepts sur lesquels s’appuie son architecture, favorisera la qualité et la pertinence des contenus ?

Cela donne Medium, qu’il est difficile de commenter maintenant, car la plateforme est en version alpha, on ne peut qu’en consulter de toutes petites parties. L’un des premiers textes publiés, c’est l’explication d’Ev Williams concernant le projet soutenu par sa compagnie Obvious Corp. :

« Il y a 13 ans nous avons contribué à la démocratisation de la publication avec une approche nativement web appelée «blogging». C’était il y a longtemps et tout est différent aujourd’hui, la société, les réseaux, les terminaux mobiles, que sais-je encore ? Nous nous sommes sentis dans l’obligation de construire un réseau de contenus pour l’âge technologique dans lequel nous vivons aujourd’hui, et nous avons une vision de ce que la publication pourrait être.

Partager des idées sur Internet c’est bien, cela les rend disponibles pour plus de gens. Cependant, imprimer des mots sur un écran comme nous le faisons sur du papier ne tire pas avantage du fait que nous sommes tous connectés et que nous utilisons de puissant ordinateurs. Il y a tellement de place pour l’amélioration et l’innovation dans le domaine de la publication maintenant, parce qu’il fonctionne sur des concepts hérités, obsolètes. Tout, depuis la manière dont nous consommons les contenus jusque à la manière dont les contenus sont créés doit être ré-imaginé. L’intention est évidente de construire des systèmes qui aident les gens à travailler ensemble pour faire du monde un endroit meilleur. Tous les systèmes ne sont pas sur le web, quelques-uns de nos projets ne sont pas des sociétés Internet. Quoi qu’il en soit, construire ce que nous voyons comme l’avenir de la publication dans un monde où des milliards de gens sont en réseau nous place d’emblée dans l’idée d’un travail de dissémination.

Faire passer une grande idée de la tête de quelques-uns à celle de millions d’autres personnes de manière qu’elle soit comprise et qu’on puisse fonder une action dessus est pour nous clairement une route vers un monde meilleur.

Une grande part de la vision que nous avons pour Medium est simplement cela: une vision. Nous ouvrons le peu que nous avons construit parce que nous croyons que nous pouvons apprendre en observant les usages. Notre but, comme toujours, est de bâtir un système qui place les utilisateurs en premier.

Nos idées vont bien plus loin que ce que montre notre produit pour le moment.Medium n’est qu’une esquisse de ce que cela pourra être. Néanmoins, nous espérons que vous accorderez quelque valeur à ce produit et nous attendons vos retours. »

Cela ne décrit pas réellement la plateforme, dont la principale différence avec une plateforme de blog telle que celles que nous connaissons est un classement thématique des entrées, et non anté-chronologique. Le sujet, le thème semblent également l’emporter sur la mise en avant de l’auteur dans la présentation des contenus. Certains y voient une sorte de Pinterest qui étendrait aux textes le concept de « board » utilisé dans Pinterest pour créer des assemblages de photos.

Les grandes déclarations sur la manière de changer le monde de M. Williams me laissent assez indifférente, ce qui me semble intéressant c’est d’observer que semblent se réinventer à très grande vitesse, transposées sur le web, quelques-unes des fonctions essentielles qui se sont développées lentement dans l’histoire de l’édition.

Il faudrait être meilleur connaisseur de cette histoire que je ne le suis pour établir des correspondances terme à terme, entre ce que « font » les plateformes successivement créées, ce qu’elles automatisent, ce qu’elles autorisent, ce qu’elles provoquent, ce qu’elles simplifient ou compliquent, et toutes les tâches traditionnellement dévolues à différents intermédiaires dans le monde analogique.

Sélection, édition, thématisation, mise en forme, critique, commentaire, mise en circulation, classification, conservation, j’en oublie beaucoup.

Il est passionnant d’observer comment ces fonctions qui structurent le monde de l’édition, autour d’objets, (qui fonctionnent comme des stocks) se transforment dans le monde du web, autour de plateformes, (qui organisent des flux).

Branch : invitation à la conversation

La plateforme Medium toute seule n’aurait peut-être pas attiré mon attention, mais on a vu aussi (enfin vous, non, vous mangiez des crêpes à St Nic, des croissants chez Frédélian, des chouchous sur la plage de Mimizan), on a vu apparaîtreBranch, un service de conversation qui fonctionne sur invitation : vous lancez un sujet, vous invitez qui vous voulez sur Twitter, et les personnes invitées peuvent inviter qui elles veulent elles aussi. Chacun peut aussi décider de créer une nouvelle « branche » de discussion à n’importe quel moment.

J’en entends grommeler :  » les forum sur le web, c’est pas très nouveau… » et d’autres qui ajoutent : « il y a même un protocole pour cela, distinct du web, Usenet ».

En réalité, je crois qu’il faut être attentif à Branch parce que ce service apporte ce que de nombreux sites web 2.0 ont apporté, un design impeccable et une grande facilité d’usage, tout en rompant, comme l’explique McNamara ici, avec certains des principes qui sous-tendent de nombreuses plateformes de réseaux sociaux :

– l’idée de « suivre » des utilisateurs (de manière symétrique – Facebook, ou asymétrique – Twitter, Instagram.

– l’ouverture totale aux contenus publiés par qui vous suivez (vous ne pouvez choisir le type de contenus que vous recevez de quelqu’un que vous suivez, vous ne pouvez pas préciser dans Facebook « je veux lire les statuts de cette personne mais ses photos de chat ne m’intéressent pas du tout »)

– la validité permanente de cette relation follower / followed, ou bien « friended », qui fait que vous ne pouvez la rompre que par une action volontaire, et qu’il n’est pas besoin d’entretenir cette relation (au moyen de « likes », d’étoiles, de j’aime, de +) pour qu’elle perdure.

Sur le site Branch, la relation instaurée entre les utilisateurs qui participent à une discussion dure le temps de cette discussion. Il ne s’agit pas d’une conversation privée, mais d’une sorte de « table ronde » virtuelle. Elle diffère de Quora parce que n’importe qui peut s’inscrire dans Quora et répondre à une question, même si l’appréciation par les autres de la qualité de votre réponse lui donnera plus de visibilité qu’aux réponses jugées moins pertinentes. Dans Branch ne peuvent s’exprimer que ceux qui sont invités à le faire.

A peu près en même temps que Medium et Branch, (deux projet soutenus par Obvious Corp., le fonds d’investissement d’Ev Williams) apparaissent svbtl et app.net. Ce billet s’allonge démesurément, aussi je reviendrai dans un billet ultérieur sur ces deux autres projets, en attendant vous pouvez lire ceci et ceci (en anglais).

Entre flux et stock, nos va-et-vient.

Nos pratiques mixtes, entre web et livre (numérique ou imprimé, c’est finalement de peu d’importance de ce point de vue), entre lectures connectées et déconnectées, appellent des manipulations qui sont des va-et-vient permanents entre « flux » et « stock ». Penser à la petite merveille que représente le service IFTTT qui permet d’automatiser certaines de ces circulations (par exemple, stocker dans un carnet dédié sur Evernote les twitts que l’on marque comme favoris, afin de retrouver ultérieurement le lien qu’ils contiennent).

Les applications comme Instapaper, Pocket, Readability se chargent de stocker pour nous ce que nous voyons passer afin que nous puissions le lire plus tard à tête reposée. Elles sont un peu différentes des Flipboard, Zite, Pulse, qui prennent nos flux RSS et les mettent en forme d’une manière qui rend leur lecture plus agréable, ou nous proposent des sélections thématiques. Les premières sont disponibles en effet durant nos pérégrinations sur le web, et permettent d’ajouter à un dispositif de lecture des articles que nous avons trouvé via des liens ou des surfs qui nous ont emmenés ailleurs, et pas seulement sur nos « sites préférés ».

La notion d’économie de l’attention prend tout son sens, car la profusion d’informations et de moyens d’y accéder ne va pas avec une augmentation de notre temps disponible pour nous adonner à cette fameuse « lecture à tête reposée ». Ce n’est d’ailleurs pas toujours le temps qui nous manque, mais la tranquilité d’esprit, la disponibilité, l’apaisement nécessaires à une forme de lecture en passe de devenir un véritable luxe.

Cette notion prend tout son sens également lorsque l’on se penche sur les modèles économiques sur lesquels reposent les services créées par ces sympathiques start-ups : c’est bien entendu l’attention (à l’exception de app.net, mais j’y reviendrai) que nous leur consacrons qui en constitue la valeur principale, car cette attention sera certainement monnayée.

Mais vous, là, de retour de vacances, vous êtes prêts, bien sûr, pour de nombreuses lectures à tête reposée… Il y a de quoi faire en ce moment, on dirait.

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s’éditer soi-même, financé par la foule ?

Autour de l’achat d’Author Solutions Inc., une plateforme d’auto-édition, par un éditeur traditionnel, Penguin, dont Hubert Guillaud nous offre une intéressante mise en contexte, les supputations vont bon train. Quel intérêt pour Penguin de dépenser ainsi 120 millions de dollars ?

Philips Jones émet quelques hypothèses sur futurebook :

Molly Barton, directrice du numérique chez Penguin USA indiquait à IfBookThen que la prochaine étape pour Book Country, la communauté d’auteurs en ligne co-fondée par Penguins, serait d’introduire des services que les auteurs pourraient acheter, par exemple des services éditoriaux ou de design. Il était également question de donner au site une dimension internationale, incluant un lancement au Royaume-Uni.

Makinson, le patron de Penguin déclare quant à lui dans le communiqué de presse :

« Cette acquisition va permettre à Penguin de participer pleinement à ce qui est peut-être le secteur à la croissance la plus rapide dans le domaine de l’édition et de gagner en compétence en ce qui concerne l’acqusition de clients et l’analyse de données, ce qui est vital pour notre avenir. »

D’autres critiquent ce choix, mettant en avant le fait que ce n’est pas de cette plateforme que sont issus les succès de l’auto-édition, et que les revenus d’Authors Solutions House sont liés à la vente de services aux auteurs plus qu’à la vente des livres de ces auteurs. La qualité de ces services est également sévèrement critiquée.

L’auto-édition a changé de statut depuis la généralisation de l’usage du web, depuis que la barrière technique à la publication s’est tellement abaissée que Clay Shirky a pu déclarer que le « publishing », aujourd’hui, ce n’était plus un métier, c’était un bouton. A rapprocher lecture/écriture, ce que fait le web, on questionne la fonction de l’éditeur (à la fois « editor » et « publisher »). L’idée de vanité qui reste attachée à l’édition à compte d’auteur à l’ancienne, s’estompe au profit d’un « si je veux , quand je veux » : grâce au web, je peux publier sans demander la permission, je n’ai pas besoin d’être « autorisé » pour devenir auteur.

Le service rendu (aux lecteurs) par l’activité de « curation » de l’éditeur, qui trie et sélectionne, afin de ne publier que ce qui lui semble mériter de l’être, peut effectivement être pris en charge par les lecteurs eux-mêmes, qui vont faire émerger de la masse des publications celles qui retiennent l’attention du plus grand nombre.

Le service rendu (aux auteurs) par l’activité de « marketing » de l’éditeur peut être effectué par l’auteur lui-même, pour peu que celui-ci ait acquis un minimum de dextérité avec les réseaux sociaux, et soit en mesure d’acquérir suffisamment de visibilité en ligne.

Effectivement, toutes les fonctions réunies au sein d’une maison d’édition peuvent aujourd’hui être éclatées et traitées différemment, selon une grande variété de configurations, soit par des logiciels, soit par des indépendants, soit par des sociétés dont le modèle s’inscrit dans des écosystèmes qui n’ont plus rien à voir avec celui du livre imprimé.

Mais il est fort possible qu’après avoir dénigré un écosystème jugé obsolète, on en vienne à en recréer progressivement un qui lui ressemble d’assez près, parce que les fonctions que cet écosystème abrite ont leur nécessité. Du côté des lecteurs : personne n’a envie de lire de mauvais textes, personne n’a envie de trouver des fautes dans les textes, personne n’a envie de lire des textes mal mis en page. Du côté des auteurs, le fait d’introduire un tiers, l’éditeur, dans la relation auteur-lecteur permet une mise à distance, un recul, un travail sur le texte que la relation directe ne permet pas nécessairement. De nombreux auteurs apprécient le travail avec leur éditeur, ce moment où l’éditeur leur demande de revenir vers leur texte, afin de transformer leur manuscrit en livre, tâche qui demeure largement ignorée par ceux qui ne voient dans l’éditeur qu’un intermédiaire « de trop », que le web rend superflu.

Enfin, il est quelque chose qui est rarement mentionné. Lorsque Konrath, cet auteur auto-publié à succès, vend des dizaines de milliers de livres, la plus grande partie des revenus lui revient, l’autre revenant à Amazon, et rien de cet argent ne va financer un jeune auteur… Lorsqu’un auteur publié par un éditeur connait un succès important, les revenus qui vont à l’éditeur permettent à celui-ci de financer d’autres auteurs, nouveaux ou de moindre succès. Le succès des uns finance ce qui correspond à la « recherche et développement » des maisons d’édition : la recherche de nouveaux talents. Ce financement n’entre aucunement en ligne de compte dans le monde de l’auto-édition (d’où le besoin de recourir, pour des projets qui nécessitent une mise de fonds initiale, à des sites de crowdfunding comme kickstarter.)

L’auteur auto-publié n’a à s’occuper que de lui-même. Il écrit, s’auto-publie, s’auto-promeut, s’auto-félicite en cas de succès, s’auto-afflige en cas d’échec.

L’éditeur publie plusieurs auteurs, et chaque auteur est pris alors dans un processus qui dépasse sa personne, qui n’est plus un processus individuel. Edité, l’auteur entre dans une collectivité, dans quelque chose de « plus grand que lui-même », qui varie beaucoup d’une maison d’édition à l’autre, il participe à une aventure qui dépasse la simple aventure de la publication, il lie son livre à d’autre livres, son succès éventuel à d’autres succès.

Bien sûr, cette aventure n’est pas toujours idyllique, et il arrive qu’un auteur soit mécontent de ce qu’il advient de lui une fois signé son contrat d’édition, soit frustré de ce que l’éditeur a réussi à obtenir comme degré d’attention pour son livre. Et l’éditeur est souvent soumis, de son côté, à des contraintes qui ne lui permettent pas de faire exactement ce qu’il voudrait, de prendre les risques qu’il aimerait prendre, d’accompagner aussi longtemps qu’il le souhaiterait des auteurs qui ne rencontrent pas assez rapidement un public suffisant.

Et il y a aussi les très nombreux manuscrits qui ne trouvent jamais d’éditeur, parmi lesquels certainement quelques uns auraient trouvé un public, même si beaucoup ne présentent d’intérêt qu’aux yeux de leur auteur.

Moi qui aime passionnément le web, je déteste l’idée d’une présence web des auteurs qui serait celle des refusés de l’édition, je déteste l’idée d’un web écrit par ceux qui ne pourraient trouver l’adoubement d’un éditeur. Et c’est une vision que récusent tous ceux qui font le web, plutôt celle de ceux qui en parlent sans l’approcher. La nature du web, fluide, se prête merveilleusement à des formes d’écriture qui se soucient peu de la page imprimée, qui sont souvent des formes d’échange (les blogs comme autant de conversations démarrées, parfois aussitôt éteintes, parfois vives et animées).

Des plateformes de blogs généralistes à celles qui se spécialisent dans l’écriture et se présentent comme des pépinières d’auteurs, les espaces d’écriture en ligne se multiplient et c’est tant mieux.

Mais je me réjouis aussi, avec Roger Chartier qui l’explique si clairement à celui qui le reçoit dans son émission, que l’édition électronique se constitue, apportant au web les livres, dépouillés de leur support de papier, de reliure, de colle et d’encre, mais recréant dans l’univers numérique ce qui fait d’un livre un livre : un objet fini, dont l’auteur est identifié, dont la forme est travaillée afin d’offrir une expérience de lecture satisfaisante, relié à d’autres livres qui lui ressemblent, un livre partie d’une collection, un livre qui possède un signalement, une identité, auquel on associe des données bibliographiques, qui peut faire référence, que l’on peut espérer retrouver, tel quel, dans un an, dix ans ou cent ans. Un objet dont la forme peut changer au fil des éditions ou rééditions mais dont le texte reste identique. Un objet qui peut s’ouvrir aux annotations, entrer dans des dispositifs de lecture collective, tout en conservant son intégrité. Un objet qui implique une lecture particulière, immersive, méditative, réflexive, telle que nous la décrit Alain Giffard.

Ne pas renoncer à une écriture pour une autre, ni à une lecture pour une autre, mais s’autoriser à passer aisément et consciemment des unes aux autres, et transmettre cette capacité aux générations qui viennent, n’est-ce pas ce luxe que nous devons exiger ?

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Niq Mhlongo, un auteur de la Kwaito Generation

Township de Langa, près du Cap.

Contrairement à Ngugi Wa Thiong’o, (voir post précédent) Niq Mhlongo écrit en anglais, et assume parfaitement ce choix qu’il a explicité dans son intervention lors du congrès de l’UIE :

« … je n’ai jamais ressenti de terrible trahison ou de sentiment de culpabilité lorsque j’écrivais en anglais. Mais je sentais qu’il était important que j’utilise cette langue d’emprunt pour négocier et naviguer parmi la multiplicité de toutes les autres langues africaines, dans notre pays et ailleurs. Dans un pays multilingue comme l’Afrique du Sud, où nous avons onze langues officielles, je pense que la langue anglaise a été en mesure d’exprimer le poids de mon expérience de Soweto et de Johannesbourg à travers mon écriture et de la partager avec le reste du monde. »

Né dans les années 70, Niq se définit lui-même comme un auteur de la Kwaito Generation, en référence à un mouvement musical et à la sub-culture qui l’accompagnent. Encore tout jeune adulte au moment de la fin de l’apartheid, il est, comme de nombreux sud-africains de sa génération, résolument tourné vers l’avenir et peu enclin à s’attarder sur le passé. La langue anglaise, c’est l’opportunité pour lui de communiquer notamment avec les européens. Son objectif, faire connaitre la réalité mouvante de son pays, faire découvrir sa complexité, sa richesse, en donner une vision contemporaine, montrant les relations entre les gens, et particulièrement entre les jeunes.

Niq raconte comment l’anglais lui a permis notamment, lors d’un déplacement en Espagne à Cartagena, d’échanger avec des lycéens.

« J’ai passé plus d’une heure avec des élèves de lycée, essayant d’expliquer ce que qu’était un township, le kwaito, le tsotsitaal, un robot, un shebeen. Après cette séance, quelques uns sont venus me demander des références de musique kwaito et d’autres livres Sud Africains. J’ai alors réalisé alors que j’avais à la fois partagé ma sous-culture et mon expérience. Ainsi, pour moi, être publié en anglais dans une société multilingue signifie que vous pouvez devenir involontairement un ambassadeur culturel de votre pays dans le monde extérieur.

Selon le recensement de 2001, les langues parlées en Afrique du Sud se répartissent ainsi :

Zulu: 10,67 million, ou 23,8% de la population;
Xhosa: 7,90 million, ou 17,6% ;
Afrikaans: 5,98 million, ou 13,3% ;
Northern Sotho: 4,20 million, ou 9,4% ;
Tswana: 3,67 million, ou 8,2 % ;
English: 3,67 million, ou 8,2% ;
Sotho: 3,55 million, ou 7,9 % ;
Tsonga: 1,99 million, ou 4,4% ;
Swati: 1,19 million, ou 2,7% ;
Venda: 1,02 million, ou 2,3% ;
Ndebele 712 000, ou 1,6%.

Les livres de Niq Mhlongo :

– Dog eat dog
– After tears

Un aussi court voyage ne permet que d’effleurer à peine la réalité d’un pays, dont l’image s’est formée dans mon esprit via quelques lectures de livres et de journaux. La rencontre avec ce jeune auteur me donne envie de creuser, à travers d’autres lectures, cette idée de l’Afrique du Sud, qui s’était figée, finalement, à peine ébauchée, depuis la fin de l’apartheid, il y a presque vingt ans.

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Le Cap : congrès de l’UIE

J’ai la chance de participer au congrès de l’UIE, l’Union Internationale des Editeurs. Ce congrès a lieu tous les deux ans, et se tient à chaque fois dans une ville différente. Cette année, et pour la première fois, il se tient en Afrique, au Cap, et il réunit des éditeurs du monde entier.
Pour l’instant, je n’ai presque rien vu de la ville, car il n’y a qu’une rue à traverser pour rejoindre le centre de conférences depuis l’hôtel. En attendant, avec quelque impatience, de pouvoir partir un peu à la découverte de la ville, je fais d’autres découvertes, en suivant les débats de la conférence, et en profitant de chacune des pauses pour échanger avec des délégués et des participants de différents pays.

Je suis arrivée dans ce pays avec une bien piètre connaissance de son histoire, de sa littérature, et même de son actualité. J’ai, comme tous ceux de ma génération, le souvenir de l’écho des luttes de l’ANC, et de l’abolition de l’apartheid, de la figure exceptionnelle de Nelson Mandela. Et j’ai également le souvenir de la lecture, vers mes dix-huit ans, de la saga de Doris Lessing, les enfants de la violence, dont on me dit ici qu’il s’agit maintenant d’un classique étudié dans les universités. D’autres images sud-africaines me viennent de la lecture des romans policiers de Deon Meyer, auteur sud-africain de langue afrikaans, ainsi que de celle des auteurs plus classiques que sont André Brink et Nadine Gordimer.

C’est la question de la langue qui a été pour moi le fil conducteur de la première journée des débats, avec en particulier la conférence introductive donnée par Ngugi Wa Thiong’o, un écrivain kenyan de langue kikuyu et anglaise, un vibrant plaidoyer pour les langues africaines. Pour cet auteur, aujourd’hui professeur à l’Université de Californie, qui a cessé d’écrire en anglais et utilise aujourd’hui le kikuyu, le fait de devenir progressivement étranger à sa langue maternelle relève d’un processus de colonisation de l’esprit. Si la proportion de lecteurs est si faible en Afrique du Sud – environ 1% de la population lit régulièrement des livres – cela est dû à de nombreux facteurs, mais selon Thiong’o, la principale barrière est celle de la langue. Les 99% qui ne lisent pas le feraient plus volontiers si les livres disponibles dans les librairies étaient écrits dans leur langue, et non, comme c’est le cas aujourd’hui, en anglais ou en afrikaans. Un autre conférencier, le professeur Keorapetse, raconte sur ce thème de l’usage de l’anglais contre celui de la langue maternelle un souvenir d’enfance. Dans sa famille, on interdisait aux enfants de parler anglais dans la maison. Et lorsque l’un d’entre eux s’exprimait en anglais, sa mère jetait des regards alentour en prenant un air inquiet et s’exclamait « Tiens tiens, on dirait qu’il y ici un petit monsieur anglais, c’est bizarre, je ne l’ai jamais invité… ». Dans de nombreux pays d’afrique sub-saharienne la question de l’âge auquel l’anglais est enseigné aux enfants fait régulièrement débat, l’anglais étant la langue qui permet de s’insérer socialement, la langue de l’employabilité, certains parents font pression pour qu’elle soit enseignée au plus tôt.

Je n’ai fait qu’effleurer le thème de la première conférence de la première journée, mais je vais devoir m’interrompre, il faudrait veiller tard ou me réveiller encore bien plus tôt pour réussir à bloguer ce congrès… Mais si je termine ce post, je manquerai la conférence de ce matin.

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en passant

Je ne sais plus comment m’y prendre pour redonner vie à ce blog. Je ne l’oublie pas, non, simplement je le délaisse, et il me manque, tout comme les conversations avec ses lecteurs.Alors je décide de le reprendre avec simplicité, comme « en passant », pour retrouver cette dose de désinvolture dont j’ai besoin pour bloguer.

Ce ne sont pas les sujets qui manquent. Ni le temps, parce que du temps on réussit toujours à en trouver pour les choses qui nous importent. La conversation, simplement, est retombée, dans mon petit salon virtuel, et il convient de la relancer doucement, en parlant de choses et d’autres, de manière agréable, pour vous donner envie de revenir boire une tasse de thé, et manger quelques gâteaux.

Alors je vous emmène à Séville, aux rencontres franco-espagnoles autour du livre numériqueorganisées par l’ Institut Français, et réunissant des professionnels français et espagnols du secteur de l’édition et du web, des enseignants et des chercheurs, et des représentants du ministère de la culture de chacun des deux pays.

Comme ici, les discussions sur « ce qu’est un livre » vont bon train, et on fait grand cas des promesses du livre numérique – livre augmenté, livre qui tire parti du code, livre multimédia, livre partagé ( à propos j’ai raté Bob Stein au labo de l’édition, c’était bien ?) alors même que la première de ses promesses, rendre accessibles les livres à la fois sous forme imprimée et sous forme numérique, pour que les lecteurs lisent de la manière qui leur convient, est encore en phase de mise en Œuvre pour l’ensemble des acteurs.

Le bref exposé que j’ai fait en introduction de la table ronde à laquelle j’ai participé portait sur les métadonnées et l’interopérabilité, (j’ai le chic pour choisir des sujets sexy en diable, je sais), mais je trouve que ces deux aspects du livre numérique, lorsqu’ils sont correctement compris, permettent d’entrer de plain pied dans sa réalité, et dans ce qui distingue en profondeur cette réalité de celle du livre imprimé.

Il y a une grande difficulté à mener une transition. Cela nécessite de savoir regarder loin devant, pour comprendre ce qui advient, et qui est étranger à ce que l’on a pratiqué depuis parfois des années. Cela implique aussi de regarder en arrière, afin de ne pas priver ceux qui viendront après nous de ce dont nous avons bénéficié. Et, regardant à la fois loin devant tout en jetant un coup d’Œil en arrière, il faut aussi aller vite, très vite, parce que ceux qui regardent seulement devant sans regarder jamais derrière vont très vite. Pas trop vite, non plus, si on ne veut pas aller seul, et si on veut aller loin, comme le dit souvent Clément Laberge, qui poursuit à Québec une action dans l’édition qui respecte cette idée.

A propos de ceux qui vont vite, sans regarder en arrière, quelques nouvelles relevées cette semaine :

– Amazon va vendre de l’ espace publicitaire sur l’écran d’accueil de sa tablette Fire.
– Amazon va permettre aux auteurs américains auto-édités de vendre des livres en POD en Europe.
– Les ventes à l’étranger de livres numériques publiés par des des éditeurs américains ont augmenté de 333% (et représentent 6% des ventes à l’export de livres américains).

Pour tous les livres et les auteurs qui jamais n’auront les honneurs payants de l’écran d’accueil de la Fire, il est indispensable de continuer de travailler à des solutions alternatives, à des solutions locales, les plus nombreuses, les plus variées, les plus diverses, sans se laisser décourager. Parce que nous savons lire.

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