La liseuse a fait son chemin

Je sais bien que certains détestent ce mot. Ils préfèrent reader, qu’ils prononcent rideur. Il paraît que c’est plus beau, rideur. C’est vrai que dans rideur, il y a ride, la ride du front des lecteurs sérieux bien concentrés sur leur liseuse rideur.Rideur, c’est masculin, c’est américain, ça fait penser à easy-rider, aux harley davidson, à la conquête des nouveaux espaces du numérique. Liseuse c’est féminin, c’est français, on dirait que ça n’a rien compris au numérique, comme les zéditeurs-et-les-majors-de-la-musique-trop-bêtes.

Cependant… la preuve qu’un mot est bien trouvé, c’est le fait qu’il soit adopté par le plus grand nombre, et non par les spécialistes, les blogueurs, les influenceurs, ceux dont le Klout dépasse 40… Non, la seule véritable preuve c’est que le mot soit utilisé par votre petite cousine, votre dentiste, la dame assise en face de vous dans le métro qui parle à sa copine.

En 2007 /2008 , on trouve le terme liseuse utilisé, rarement, dans quelques blogs (je le propose pour la première fois le 5 avril 2007 dans un commentaire que j’écris ici, en conversation avec Alain Pierrot, Bruno Rives, Hervé Bienvault, Lorenzo Soccavo, Benoît Peeters et quelques autres) avant que je ne le reprenne et le défende sur ce blog. Je viens de retrouver le billet dans lequel Bruno Rives invitait les visiteurs de son blog à proposer des noms pour l’objet, et je souris en lisant la fin :

« Si vous ne souhaitez pas signer, nous respecterons votre choix, mais si votre ou vos termes deviennent des références, vous n’aurez pas l’honneur suprême d’en être reconnu l’auteur, peut-être pour des siècles! A vous de voir. »

Puis le mot commence à faire son apparition de temps en temps dans un article de presse : c’est encore suffisamment exceptionnel pour que chaque fois quelqu’un me le signale (t’as vu, ils ont utilisé « liseuse » dans cet article des Echos, ou du Monde…). Ensuite cela devient systématique, et plus personne n’y fait attention. Des gens emploient le terme devant moi avec le plus grand naturel. Je découvre cette année le mot sur les abribus au moment du salon du livre, sur les publicités d’Amazon.

Lorsque la Fnac avait sorti le Fnacbook (paix à son âme), la communication se faisait en employant le (beau et très masculin mot) « reader ». Après l’accord avec Kobo, il est aujourd’hui tout naturellement question de la « liseuse Kobo ».

Alors voilà que liseuse, le petit mot français, féminin, a fait son chemin. Certains le détestent parce qu’ils lui trouvent une consonnance désuète et un peu ancienne, oubliant que c’est l’objet désigné par ce mot qui saura au fil du temps modifier ce caractère que les autres objets qu’il désigne lui confèrent. Parfois un signifiant change de signifié, ou bien accueille un signifié supplémentaire, c’est assez banal, ça arrive tout le temps. (Pensez à la marque « Apple », par exemple. C’est un peu différent, parce que c’est de l’anglais, et que c’est un nom propre, mais voilà que le mot « pomme » désigne une des sociétés les plus puissantes du moment. Pourtant, pomme, ça ne sonnait pas particulièrement nouvelles technologies… Simplement, dans un contexte en référence aux objets électroniques, en lisant le mot « Apple », on oublie totalement les fruits, la compote, la Normandie, les vergers, le cidre, le calvados, Adam et Ève, Guillaume Tell, Newton…)

Dernière nouvelle, qui surgit hier dans ma timeline : liseuse est paru au journal officiel…

Heureusement que cela ne se produit que maintenant que l’usage s’est déjà répandu… Parce que le fait pour un mot d’être homologué par la commission de terminologie et de néologie ne garantit pas toujours que ce mot passera dans le langage courant. La commission recommande notamment l’usage du sigle AFSI (Accès Sans Fil à l’Internet) à la place de WIFI (Wireless Fidelity), et de  » frimousse » pour emoticon ou smiley.

Mais la plus belle reconnaissance, pour un mot, n’est-elle pas de figurer dans le titre d’un livre ?

Grâce à Paul Fournel et aux éditions POL, c’est fait. J’ai eu le plaisir d’échanger quelques mots avec Paul Fournel au Salon du Livre, lui racontant brièvement l’histoire du terme (et ses alternatives : livre numérique, qui entretenait la confusion terminal / fichier, bouquineur – tu te souviens, Constance ? – et le très viril reader.) Il aime bien le mot liseuse. Moi, j’aime bien son livre. Il y est question de tablettes aussi bien que de liseuses, et assez indifféremment, mais cela n’a aucune importance. Je suis si contente que le mot ait ainsi été comme baptisé par un membre de l’Oulipo

Oulipo, journal officiel… bon, les garçons, ( et les filles…) il va falloir vous accrocher, maintenant, pour bouter « liseuse » hors de nos champs lexicaux…

Je salue amicalement Alain Pierrot, François Bon, Irène Delse, Hadrien Gardeur, Xavier Cazin,Hubert Guillaud,et tous ceux qui, les premiers, ont utilisé ce terme. Tous contribuent de diverses manières à cette mutation incroyablement passionnante que nous vivons aujourd’hui, et dont les liseuses, ces terminaux modestes, légers, consommant peu d’énergie et dédiés à la seule lecture, demeurent l’un des objets emblématiques.

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big data, publication agile : et TOC !

Lorsque l’on revient d’une conférence comme le TOC (ou comme Digital Book World), s’ensuit toujours un moment un peu confus, où plusieurs interventions se mélangent dans votre mémoire, où l’impression globale est un peu floue, où l’on se demande « mais finalement, que vais-je retenir de cette conférence ? » La réponse, cette année, n’est pas très romantique : data, data, data. (Prononcer à l’américaine : « daita », en trainant un peu sur le « ai »). Malgré ma légère tendance à l’ « innumeracy », j’ai été impressionnée par la présentation de Roger Magoulas, Directeur des études marketing chez O’Reilly. L’éditeur dispose en effet d’un outil de présentation de ses données qui semble à la fois simple et efficace, et Magoulas explique fort bien pendant sa présentation, que l’efficacité de cet outil dépend en quelque sorte de sa simplicité. Et la simplicité n’est jamais le résultat d’une approche rustique, elle est au contraire le fruit d’un travail très approfondi, d’une réflexion menée à son terme. Ce qui est vrai pour le design (la légendaire simplicité du design des objets produits par la firme Apple étant l’exemple le plus souvent cité, mais il en est d’autres), est vrai aussi pour la visualisation de données. Simple is beautiful ! Et pour construire un tel outil, il importe de se poser quantité de questions : quelles sont les données dont je dispose ? Quelles sont les données dont j’ai besoin ? Sous quelles formes ces données doivent-elles être restituées pour que je puisse en tirer des conclusions ? Quelles sont les prises de décisions qui pourraient être facilitées par des données, lesquelles, et sous quelle forme ? Magoulas évoque la nécessité d’utiliser le « storytelling » pour rendre ces données parlantes, lisibles, frappantes, faciles à mémoriser. Il faut que les donnéesracontent une histoire (mais il est indispensable aujourd’hui de raconter une histoire, semble-t-il, si on veut retenir l’attention des gens, comme si nous vivions tous une enfance prolongée, et que toute information devait être précédée d’un « il était une fois… » )

Comment se vend tel titre ? Comment se vendent les autres titres sur le même thème ? Sur quel canal, à quel moment se vend-il le mieux ? Le moins bien ? Quelles répercussions sur les ventes a eu tel ou tel événement ? Ces questions ne sont pas nouvelles, ni la fonction analyse de données dans les entreprises. Ce qui est plus nouveau, c’est la quantité de données disponibles et la sophistication des outils toujours croissante, la possibilité de mise en circulation de ces données, l’immédiateté de leur disponibilité. Après avoir montré quelques exemples de mise en forme des données, Roger Magoulas donne des conseils à ceux qui voudraient adopter une démarche proche : la clé, indique-t-il, c’est l’intégration des compétences. Le fait qu’il n’y ait pas une équipe isolée qui s’occupe des données dans l’indifférence générale, mais que chacun ait une « culture des données », qui passe par un peu d’apprentissage mathématique. Il dit aussi « sortez, allez voir dehors ! » ce qui signifie : les données ne sont pas seulement dans vos systèmes, il est quantité de données que vous pouvez extraire du web, de Twitter, de Facebook, et traiter de plus en plus finement. Enfin, cette réflexion, déjà entendue certainement, mais qu’on ne répétera jamais assez : « If you don’t run something, what are you learning ? ». Oui : si vous ne bougez pas, si vous n’essayez pas, qu’allez-vous apprendre ?

Il est à noter que l’éditeur pour lequel travaille Roger Magoulas est un éditeur bien particulier, puisqu’il s’agit d’O’Reilly, qui édite principalement des livres destinés aux informaticiens. Cette maison d’édition est située au cŒur de la Silicon Valley, dont Tim O’Reilly, son fondateur, est l’une des figures. C’est Tim O’Reilly qui a, dans un célèbre article, popularisé le concept de Web 2.0. C’est d’ailleurs ce qui donne à l’événement TOC sa tonalité particulière : l’ancrage de ses organisateurs dans la culture web, sa proximité avec les idées qui ont cours parmi les entreprises du web, et la certitude d’y entendre exprimées des idées qui font bouger les lignes, et bousculent les habitudes des éditeurs. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui, les maisons d’édition, grandes et petites, sont amenées à travailler avec des entreprises issues de cette culture et maîtrisant parfaitement les savoir-faire dont nous parle Roger Magoulas, les « acteurs globaux », comme on dit, Amazon, Google, Apple. Le framework utilisé par O’Reilly et cité dans la présentation, Hadoop a été inspiré par les publicationsMapReduce,GoogleFS etBigTable deGoogle. Pour se familiariser avec cette thématique des big data, il existe d’excellents articles en français, celui d’ Henri Verdier, ceux d’ Hubert Guilllaud sur Internet Actu.

Une autre thématique qui a retenu l’attention en cette édition 2012, c’est celle de la publication agile (Agile Publishing). Là aussi, il s’agit d’importer dans le monde de l’édition un concept issu du monde informatique, celui de la méthode agile. Là aussi, l’un des intervenants de la session dédiée à ce thème travaille chez O’Reilly (Joe Wikert), et l’autre est la très dynamique (et sympathique) Dominique Raccah, sans qui il semble aujourd’hui difficile de boucler la programmation d’une conférence sur l’édition numérique. La méthode agile, c’est une méthode de développement informatique itérative et incrémentale, basée sur un esprit collaboratif, intégrant le dialogue avec le client et l’acceptation du changement en cours de projet. Les principes du développement agile ont été publiés en 2001 dans un manifeste, le web adore les manifestes…

Il est intéressant de voir comment un concept résiste à la transplantation d’un univers à un autre, même si cela peut être aussi la porte ouverte à beaucoup d’à peu près. (Lire à ce sujet le livre ravageur de Jacques Bouveresse,Prodiges et vertiges de l’analogie: De l’abus des belles-lettres dans la pensée, Raisons d’Agir, 1999 ou simplement cette conférence, critiquant la légèreté avec laquelle certains philosophes se sont pris d’affection pour des concepts scientifiques et ont voulu les importer dans le monde de la philosophie, sans se donner la peine de chercher à comprendre ces concepts avec le minimum de rigueur.)

L’idée de publication agile repose bien sur une analogie : au cŒur de la méthode agile se trouve un logiciel, une application. Ce qui fait l’objet de la publication agile, c’est un livre. Un logiciel répond à un cahier des charges (même si avec la méthode agile, on peut s’attendre à un cahier des charges moins volumineux), un logiciel doit permettre à ses utilisateurs d’accomplir un certain nombre de tâches bien définies. Il n’en est pas tout à fait de même pour un livre, même dans le cas des livres pratiques, qui répondent à des besoins spécifiques. Le plus pratique des livres de cuisine ne « fonctionne » pas, au sens où il n’est pas doté de la moindre « fonctionnalité » (l’objet livre est doté de fonctionnalités, toutes les mêmes, liées à sa forme, mais pas l’Œuvre). Il peut permettre à celui qui le lit d’agir, mais il ne déclenche pas directement des actions, comme doit le faire un logiciel. Une application dérivée d’un livre de cuisine peut, elle, disposer de fonctionnalités. Elle peut calculer par exemple les quantités d’ingrédients en fonction du nombre de convives, générer votre liste de courses, suggérer une recette en fonction de critères (difficulté, temps de préparation etc.). Le livre est avant tout destiné à être lu, même si la lecture peut prendre bien des formes, immersive ou non, continue ou non, rapide ou lente, méditative ou superficielle, silencieuse ou à voix haute, solitaire ou partagée. L’art de la mise en page est tout entier orienté vers l’agrément de la lecture, il ne s’agit pas d’une démarche totalement assimilable à la recherche ergonomique qui préside à la conception d’une interface. Ainsi, la nécessité de tests itératifs avec des utilisateurs en ce qui concerne un livre doit-elle se justifier par d’autres raisons que celles qui coulent de source lorsqu’on teste un logiciel : on doit alors vérifier que l’utilisateur comprend ce qu’il doit faire, et que les manipulations de celui-ci permettent le fonctionnement du logiciel, et ne conduisent pas à des fonctionnements inattendus. Cela demeure vrai lorsque l’on parle de livres numériques. Des problèmes ergonomiques doivent bien être résolus, mais par les concepteurs de moteurs de lecture. Ceux qui produisent les fichiers se posent essentiellement des problèmes d’affichage, de rendu, s’inquiètent de la manière dont l’intention du compositeur sera respectée avec tel et tel moteur de lecture. Nulle nécessité de tester techniquement chaque livre numérique auprès des utilisateurs, sauf si on utilise déjà EPUB3, et que les livres intègrent des éléments d’interactivité non portés par le moteur de lecture grâce à la balise « canvas » et à javascript.

De la méthode agile, lorsqu’elle l’a transposée dans l’univers de l’édition, Dominique Raccah a principalement retenu le principe de proximité entre client et équipe de développement, le transposant bien sûr en une proximité auteur / lecteurs. L’auteur, dans ce mode de publication, demeure celui qui écrit le livre, il ne s’agit pas de co-écrire le livre avec les lecteurs, mais il soumet le livre en cours d’écriture à la communauté de lecteurs, qui peuvent réagir au fur et à mesure, indiquer des manques, demander des précisions, réagir, soumettre des idées. L’auteur peut ensuite intégrer ou non les remarques en retravaillant les chapitres déjà publiés. L’écriture du livre n’est pas confiée à la communauté des lecteurs, mais cette communauté est associée au processus.

De même, Joe Wikert a cité des exemples de livres qui ont fait chez O’Reilly l’objet d’une méthode de publication agile, comme  » Books, a Futurist’s Manifesto » de Hugh Mc Guire et Brian O’Leary. Ce livre a été rédigé et révisé sur PressBooks, l’outil de production en ligne développé par son auteur Hugh Mc Guire, et publié dès qu’un contenu « juste suffisant » a été disponible, puis les chapitres se sont ajoutés, et des mises à jour ont été faites. Aujourd’hui, il est disponible en téléchargement payant et gratuitement en streaming sur le site PressBooks. Joe Wikert a également cité une offre déjà ancienne chez O’Reilly, destinée aux utilisateurs de la bibliothèque en ligne Safari, nommée Rough Cuts, qui consiste à donner accès à des livres encore en cours d’écriture. Effectivement, c’est un peu ancien, car j’ai consacré l’un des premiers articles de ce blog à Rough Cut… En 2007, j’étais déjà assez enthousiaste à l’idée de nouvelles formes de publication, même si le terme de publication agile n’est pas présent dans mon billet.

Et vous, croyez-vous que ce mode de publication va se répandre ? Jugez-vous pertinent l’emploi du terme de Publication Agile ?

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Bookcamp à New Work City

Non, il n’y a pas de faute de frappe dans mon titre, c’est bien New Work City avec un W et pas un Y que j’ai voulu écrire, NewWork City c’est le nom du lieu où se déroulait le Bookcamp où je me suis rendue aujourd’hui. Ce lieu ressemble à La Cantine, qui a abrité plusieurs Bookcamps à Paris, un lieu de coworking, qui offre espaces de réunion, postes de travail et connections aux startup. J’ai découvert assez tard l’existence de ce Bookcamp, et même si ça pourrait faire assez chic d’essayer de vous faire croire que j’ai fait le déplacement tout exprès depuis Paris, je sais bien que ce serait difficile de vous convaincre. Non, j’y suis allée parce qu’il se trouve que j’étais déjà à New York en prévision de la conférence Tools of Change qui commence demain. Me voici donc embarquée dans une  » non conférence« en prélude à la « conférence ».

Première observation, le principe de la non conférence est ici mieux respecté que nous ne le faisons lors de nos Bookcamps parisiens : il n’y a vraiment pas de programme préparé. Une personne anime le Bookcamp (ce que fait Hubert Guillaud lors des bookcamps parisiens) : elle rappelle les principes, invite les participants à réfléchir aux sujets qu’ils aimeraient voir aborder et à les noter sur un papier. Puis chacun de ceux qui ont noté quelque chose lit son papier à voix haute, des regroupements peuvent s’effectuer si des thèmes sont très proches, et le planning de l’après-midi se remplit ainsi très vite : 4 lieux, 4 sessions, cela fait 16 sujets…

La première session à laquelle je me joins est consacrée à la « lecture sociale » et animée par Iris Blasi. Elle utilise pour lancer la discussion les distinctions proposées par Bob Stein pour distinguer les différents types de sociabilité liées à la lecture :

Catégorie 1 – Discuter d’un livre en personne avec des amis ou des connaissances
(hors ligne, informel, synchrone, éphémère)

Catégorie 2 – Discuter d’un livre en ligne
(en ligne, informel, synchrone ou asynchrone, éphémère)

Catégorie 3 – Discuter d’un livre en classe ou dans un club de lecture
(hors ligne, formel, synchrone ou asynchrone, éphémère)

Catégorie 4 – S’engager dans une discussion DANS les marges d’un livre
(en ligne, formel, synchrone ou asynchrone, persistent)

Lors de la discussion qui suit cette taxinomie est rapidement perdue de vue, et les arguments s’échangent sur un mode un peu « pour ou contre » sans que soit toujours bien précisé de quoi on est en train de parler exactement. Mais cela n’enlève pas tout intérêt à l’échange, qui fait émerger des questions pertinentes, la plus importante à mes yeux étant probablement  » avec qui souhaite-t-on partager ses lectures au sens de la catégorie 4 de Bob Stein ? » . C’est une question qui renvoie à l’usage des réseaux sociaux, à cette notion d’ami-qui-n’en-est-pas-un introduite par Facebook, à cette sociabilité élargie à des inconnus que permet le web, inconnus qui ne restent pas vraiment des inconnus même si on ne les rencontre pas, parce que les échanges créent un lien et chacun montre de soi quelque chose dans ces échanges. On entend les arguments des sceptiques de la lecture sociale, ceux qui s’écrient « ah non, moi, quand je lis, c’est justement pour vous oublier, tous tant que vous êtes ! », ceux des obsédés de la vente (ben ça nous intéresse pas ce que les gens font une fois qu’ils ont acheté un livre, nous, ce qui nous intéresse c’est le prochain livre qu’ils achèteront), ceux qui rappellent que ce qui marche dans les réseaux sociaux c’est la simplicité (on peut partager quantité de choses en ligne sans rien avoir à rédiger du tout, avec des outils comme Foursquare ou Pinterest). La difficulté de citer et de partager les livres protégés par des DRM est également mentionnée, ainsi que la disparité des systèmes de partage d’annotation, eux aussi dépendants des plateformes de lecture. La dichotomie « parler d’un livre / se parler depuis l’intérieur d’un livre » est bien soulignée.

L’atelier suivant se veut une réflexion sur les caractéristiques respectives du livre numérique et du livre imprimé. Nick Ruffilo qui l’anime est venu avec un Scrabble, et pendant que la discussion se poursuit, la moitié des participants joue contre l’autre moitié, plusieurs personnes représentant les équipes se succédant pour chercher et placer des mots. Je n’ai pas très bien saisi le pourquoi de cette mise en scène, je l’avoue, une analogie demeurée indéchiffrée, mais c’était assez plaisant… Sur les pratiques de lecture, rien de très nouveau pour qui, comme toi, lecteur bien-aimé, s’intéresse de près à ces questions. Différents sondages auprès des participants (qui lit comment ?), qui montraient une fois encore que personne n’abandonne complètement un type de lecture pour un autre, que certaines qualités du livre imprimé demeurent inégalées (en particulier sa manière d’être un objet que l’on peut reconnaître à sa forme, sa taille, sa couleur, alors que tous les livres numériques prennent la forme du terminal que l’on utilise pour les lire, demeurant hors de portée de la curiosité d’autrui.)

Une chose me frappe qui rend très différent ce bookcamp des expériences françaises, c’est la manière d’échanger des Américains. On sent qu’ici l’expression orale est enseignée à l’école. Les élèves, les étudiants, sont encouragés à prendre la parole et à s’exprimer, et cela se sent. En conséquence, les personnes qui ne possèdent pas naturellement une aisance à parler en public sont capables cependant de prendre la parole. Chez les personnes au tempérament le plus introverti, on peut discerner un côté « j’ai appris à m’exprimer », avec une gestuelle et une diction dont on voit bien qu’elles sont le fruit d’un entrainement. Les autres semblent parfaitement à l’aise. Mais le résultat, ce sont des débats où la parole circule très librement, où l’écoute de l’autre est la règle, et où beaucoup de gens différents prennent la parole.

Chez nous, la timidité est plus forte, ainsi qu’une sorte de « révérence » pour les personnes auxquelles on prête une autorité, et qu’on va difficilement contredire ou questionner. Autre chose : la peur de passer pour un idiot est très forte, on préfère ne rien dire que de risquer de dire une chose incongrue. Le résultat c’est que les ateliers de nos Bookcamps ressemblent parfois plus à des mini conférences, et que ceux qui y prennent la parole sont le plus souvent ceux qui sont habitués à le faire en public.

Parmi les participants au troisième atelier, Joshua Tallent, de chez Ebooks Architects , un expert en formatage de livres numériques, conseille à l’assistance de participer au wiki eprdcton.org, et de suivre sur twitter le hashtag #eprdctn.

L’une des questions débattues ici est très familière à tes oreilles, cher lecteur : est-il possible de produire un fichier EPUB « single source », qui servira de base à toutes les conversions vers les formats propriétaires ou vers les EPUB-qui-ne-sont-plus-tout-à-fait-des-EPUB ? Pour Joshua la réponse est non, car ce format unique, qui fait tant rêver les éditeurs, obligerait à des compromis sacrifiant trop la qualité, en usant du plus petit dénominateur commun. Mieux vaut accepter de produire plusieurs formats qui divergent, chacun tirant au mieux parti de la manière dont sont développés les moteurs de lecture. Ce n’est pas l’avis de plusieurs éditeurs présents qui considèrent que lorsque les titres à publier se comptent en milliers, il n’est pas possible de faire ce patient travail artisanal sur chacun des titres, et qu’il faut trouver des solutions duplicables favorisant le maximum d’automatisation. Tout le monde s’accorde à dire qu’il ne faut pas s’attendre à plus de stabilité, mais que l’adaptation à de perpétuels changements dans le domaine du formatage est désormais la règle.

Le dernier débat auquel j’assiste a pour thème « crowdsourcing the perfect business model » et, je vous le dis tout de suite, la « foule » n’a pas réussi malgré ses efforts à trouver ce business model idéal. L’équation est un peu compliquée, mais tous s’accordent à dire que l’on est encore loin d’avoir tout inventé. Une personne de chez Harlequin indique que des modèles basés sur l’accès, qui permettent aux lecteurs de charger 6 livres de leur choix chaque mois choisis parmi un catalogue thématique, commencent à sérieusement concurrencer les modèles de vente à l’unité. La conversation tourbillonne, il est question du nombre de titres produits par les éditeurs, quelqu’un évoque le problème des retours, certains disent qu’il ne faut pas produire plus de livres qu’on ne peut en soutenir activement d’un point de vue marketing.

Après les ateliers, ce qui va se passer ressemble énormément à ce qui clôt habituellement nos Bookcamps parisiens : on entend le bruit des bouchons qui sautent, le pas des bookcampeurs qui se rapprochent des bouteilles et des verres. Un petit détail aussi, pratique et simple à mettre en Œuvre : sur la table, à l’entrée, un tas de feutres de toutes les couleurs et des paquets d’étiquettes auto-collantes. La plupart des gens y ont inscrit en arrivant leur leur nom et leur pseudo twitter, certains ajoutent le nom de leur société. C’est pratique, plus simple que les trucs en plastiques avec épingles à nourrice qui piquent, et ça simplifie bien les échanges. Cela me permet de mettre des visages sur de très nombreux habitants de ma timeline : les participants sont nombreux, et bon nombre d’entre eux viennent de grands groupes d’édition (Random House, Macmillan, Penguin…). Je n’ai pas besoin de regarder son étiquette pour reconnaitre Cristina Mussinelli, une consultante qui travaille pour l’AIE (l’équivalent du SNE en Italie), et qui siège aussi à l’IDPF. Elle et moi sommes ici les deux seules européennes. Mais, dans mon souvenir, il n’y avait, me semble-t-il, pas un seul Américain cet automne au Bookcamp Paris… (Bon, il n’y avait pas non plus de TOC juste après, c’est vrai.)

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Qu’est-ce que j’peux lire ? J’sais pas quoi lire…

Comment décidez-vous quel sera le prochain livre que vous lirez ? Aux réponses classiques, issues d’un monde où la seule possibilité pour lire un livre était de se déplacer pour s’en procurer une version imprimée, se sont déjà ajoutées de nouvelles pratiques, avec la possibilité de découvrir des livres imprimés, puis des livres numériques, directement sur le web.

Les occasions de découvrir un livre sur le web sont diverses : les libraires en ligne nous ont habitués à des recommandations fondées sur des algorithmes basés sur notre comportement en ligne, croisé avec celui des autres internautes : ceux qui ont acheté ce livre ont aussi acheté… / ceux qui ont consulté cette page ont aussi consulté… / Vous avez aimé … vous aimerez peut-être… Cette recommandation basée sur l’analyse des données a ses limites (Amazon m’a ainsi gentiment adressé il y a quelques années un mail me disant : « vous avez aimé Cahier d’exercices Anglais seconde, vous aimerez aussi Cahier d’exercices Allemand seconde »…).

Lecture et réseaux sociaux

Certains réseaux sociaux dédiés aux livres, comme Babelio, LibraryThing, GoodReads, Anobii , proposent une forme différente de médiation : basés sur des contenus générés par les utilisateurs, et sur ceux d’entre eux qui mettent en ligne les métadonnées de leur bibliothèque, ils nous permettent de découvrir des lecteurs ayant des goûts de lecture proches des nôtres, des bibliothèques assez similaires. Ceux des livres de leur bibliothèque que nous ne connaissons pas ont alors de bonnes chances de nous intéresser.

Et bien sûr, sur les réseaux sociaux plus généralistes, ceux des gens que nous suivons, ceux de nos « friends » que nous connaissons le mieux, peuvent nous inspirer dans nos choix, dès lors qu’ils partagent de temps en temps leur enthousiasme pour un titre.

Un petit exemple d’échange de twitts, assez caractéristique. J’ai commencé à lire avant-hier le dernier livre d’Enrique Vila-Matas, Chet Baker pense à son art. J’ai fait part de mon enthousiasme sur Twitter, comme cela m’arrive parfois, assez rarement en fait, mais de temps en temps.


Quelques instants plus tard, un twitt de Christine (@cgenin), que je connais :


suivi d’un autre de @lizarewind que je ne connais pas, et ne suivais pas sur Twitter (maintenant si), mais dont je vois le twitt parce qu’il inclut mon identifiant :

@lizarewind inclut aussi une certaine @CristinaRiera dont elle doit connaitre l’intérêt pour cet auteur, et @CristinaReira réagit à son tour :


Cet échange a duré quelques minutes, pendant lesquelles quelques uns de nos followers (à nous quatre, cela fait plus de 5000 personnes) auront peut-être eu la curiosité de cliquer sur le lien vers le site d’Enrique Vila-Matas, et certains, peut-être en quête de leur prochaine lecture, opteront, qui sait, pour ce livre plutôt que pour un autre… Ce livre, qui, à lui tout seul, est un véritable outil de recommandation, chaque page vous donne l’envie de lire un auteur, c’est la spécialité de Vila-Matas, que de faire ainsi l’entremetteur, et je dois à ses précédents livres de nombreuses découvertes. (En fait, quand j’y pense, c’est mon moyen préféré de découvrir des livres, les découvrir dans des livres.)

Des exemples comme celui-ci sont légion, c’est le bouche à oreille numérique, un bouche à oreille infiniment plus rapide que le bouche à oreille IRL, même s’il est contrarié par ce qui fait sa puissance : chacun est suivi par un grand nombre de gens, mais en suit également beaucoup, et il n’est guère possible de tout lire, et encore moins de cliquer sur l’ensemble des liens proposés par notre timeline…

Small Demons

J’ai déjà évoqué SmallDemons, dans le compte-rendu que j’ai fait de la conférence Books in Browsers, où le fondateur de ce site assez impressionnant l’avait présenté. Encore un site dédié à la découverte des livres, qui propose en fait de naviguer d’un livre à l’autre en passant non pas par les lecteurs de ce livre (il aime les même livres que moi, alors je devrais aimer des livres qu’il a lus et pas moi…), mais par le contenu des livres même. La vidéo explique bien le concept.

Et le résultat est impressionnant : pour chaque livre sont listés et illustrés par des visuels très bien présentés par catégories, les personnalités, les musiques, les mets, les boissons, les objets, en fait , tous les noms propres qui ne sont pas fictifs, et peuvent être des noms de marques.

Si dans tel roman policier de Sue Grafton un personnage écoute une chanson tirée de Blonde on Blonde de Bob Dylan, l’image de la pochette du disque s’affiche, à côté des images des pochettes des autres morceaux cités dans le livre. Au clic sur cette image s’affichent tous les livres dans lesquels cet album est cité…

WhichBook

Un autre twitt me conduit aujourd’hui vers le site WhichBook, qui propose une autre manière de choisir un livre, avec une interface permettant de régler jusqu’à quatre curseurs présentant des oppositions du type : happy/sad, funny/serious, safe/disturbing.

Cela me rappelle un outil dont j’avais eu l’idée au début des années 2000 pour le site web d’un éditeur jeunesse, et qui avait abouti à la création d’une petite application en flash qui s’appelait un « j’sais pas quoi lire », et proposait aux jeunes lecteurs, sous une forme graphique, une succession de choix du type : préfères-tu les histoires d’aujourd’hui, du passé, ou dont l’action se situe dans le futur ? Une série de clics leur permettait d’affiner ainsi leur choix qui aboutissait à une liste d’ouvrages de l’éditeur concerné. Le site n’est plus en ligne, alors, pas de lien…

Pour permettre ce type de sélection des livres, il a fallu évidemment que les livres soient indexés en fonction de leur adéquation à ces critères, et les livres l’ont été effectivement, manuellement, par des volontaires. Chacun peut publier sur WhichBook ses listes de livres indexés.

Un site français, Culture Wok, développé par l’association Le Wok en Travaux , propose quelque chose d’assez proche pour les livres, mais aussi les films, les jeux, les vins, la musique. Plusieurs bibliothèques ou médiathèques et libraires ont aussi leur propre Wok, essentiellement en région Aquitaine. Il manque à ce site une visibilité donnée à l’utilisateur sur l’ensemble du catalogue utilisé pour la recherche, cette visibilité étant présente sur le site WhichBook, avec une liste complète des auteurs. Il est toujours désagréable d’utiliser pour une recherche un outil sans avoir la moindre idée de la manière dont il fonctionne, pas plus que de la base d’ouvrages qu’il consulte pour fournir des résultats. Je n’ai pas non plus trouvé comment commander un ouvrage une fois sélectionné. Le site est en beta, alors, espoir…

Répertorier les « qu’est-ce que j’peux lire » ?

Il n’y aura jamais trop de dispositifs offerts aux internautes, proposant dans l’infini des objets numériques disponibles sur le web des repères, des balises, des panneaux de signalisations, des moyens de trier, de choisir, de découvrir, de sélectionner. Les architectes ne suffisent pas, il faut des urbanistes, pour penser les déplacements, les regroupements, les proximités. En complément de la médiation proposée par les libraires et les bibliothécaires, qui ne peuvent accompagner individuellement la totalité des lecteurs, plus les outils web (et mobile) seront nombreux, divers et bien pensés, plus les livres auront des chances de rencontrer les lecteurs qui les attendent.

Je proposerais volontiers à ceux qui ont eu le courage de lire ce billet jusqu’ici d’indiquer en commentaire d’autres exemples de sites « qu’est-ce que j’peux lire ».

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Immersedition, fiction et interactivité

Basée à Dallas, la société Chafie Creative Group propose une application iPad nommée Immersedition, et déclare « inaugurer un nouvau type d’applications de lecture interactive ».

Le premier titre concerné est The Survivors, d’Amanda Havard. Le livre comporte 300 points tactiles, qui permettent d’accéder à 500 fenêtres de contenu interactif insérées dans les pages du livre via des zones sensibles.

Chaque zone sensible révèle des éléments comme des précisions sur des faits historiques, des cartes (Google Maps), des photos, des vidéos, des profils de personnages qui diffèrent selon l’endroit où ils sont situés dans l’histoire. Il y a aussi trois bandes son originales, qui peuvent être lancée à des points clés. Il existe aussi des profils Twitter pour cinq des personnages, qui continuent de twitter et d’ajouter du contexte en contrepoint de l’histoire. Tous les contenus fonctionnent hors connexion, sauf les cartes et les fils Twitter.

Je suis impatiente de connaître le destin de ce livre numérique interactif, de savoir s’il rencontre un succès, s’il plait suffisamment au public pour ne pas demeurer – ce qui est souvent le cas de ce type d’objet – une expérimentation, plus amusante à réaliser qu’à utiliser.

(via Gigaom)

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innovation, jeunes pousses, et livre numérique

GeekWire rapporte que s’est tenu le week-end dernier une rencontre intitulée Ebook Innovation Summit, qui rassemblait à Redmond quelques jeunes sociétés qui innovent dans le domaine du livre numérique.

Cette rencontre a mis en lumière des start-ups qui développent, « à l’ombre d’Amazon », des technologies pour diverses plateformes.

L’événement était organisé par Roy Leban, fondateur de Puzzazz, une société qui développe des livres de jeux (de type Sudoku, mots croisés etc.) pour le Kindle. Une particularité commune à ces start-ups, c’est qu’elles sont pour la plupart largement dépendantes de tiers, dont les principaux sont Amazon, Apple, Barnes & Noble ou Adobe. Mutualiser certaines informations et bonnes pratiques sera un atout certain, et devrait contribuer à améliorer la qualité de leurs produits et services.

Parmi les entreprises présentes, citons Bluefire, qui réalise des applications de lecture personnalisées pour Androïd et iOs. Bluefire vient de réaliser une application de lecture pour le compte d’Indiebound, le portail de la librairie indépendante US, destinée aux clients des libraires qui utilisent la solution de Google.

Est-ce que les entreprises du même type qui se développent de ce côté-ci de l’atlantique, les Actialuna (qui viennent de lever des fonds, ) Babelio, Feedbooks, Walrus et quelques autres ont aussi des moments de rencontre un peu formalisés ? Au moment où s’annonce (une fois de plus, mais qui pourrait bien être la bonne…) le démarrage du livre numérique en France, la vivacité d’un secteur développant de nouveaux services, de nouveaux produits et de nouvelles approches est essentielle. Je n’ai cité que très peu d’exemples, aussi, jeunes sociétés innovantes dans le domaine du livre numérique (ou développant de nouvelles techno au service du livre), n’hésitez pas à vous signaler en commentaire…

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Ceci n’est pas un iPad

Greg Knieriemen a adressé une lettre ouverte à Jeff Bezos, le patron d’Amazon avant de rapporter en magasin la tablette Kindle Fire qu’il venait d’acquérir. Pourtant Greg Knieriemen adore Amazon. Ce n’est pas lui qui aurait écrit, comme l’auteur du blog le journal d’une lectrice : Le Kindle ne passera pas par moi.

Non, Greg Knieriemen n’a rien contre Amazon. D’ailleurs, il travaille pour une société qui vend aux entreprises des services d’hébergement informatique qui s’appuient sur la solution AWS (Amazon Web Services), dite aussi Amazon S3. Acheter tous ses livres et sa musique sur Amazon ne le dérange pas, et il ne se sent pas le moins du monde concerné par la possible fin des librairies.

Alors, qu’est-ce qui a conduit Greg à renvoyer sa tablette Fire à Amazon ? Il l’explique à Jeff Bezos :

« Comme tu le sais certainement, il est impossible de charger et d’utiliser une appli Google nécessitant un login sur une Kindle Fire. Cela signifie : pas de Gmail, pas de Google+, pas de Google Voice ni de Google Docs. J’aurais dû parcourir plus soigneusement l’app store d’Amazon avant d’acheter le Kindle Fire. J’assumais à tort que puisque vous aviez construit le Kindle Fire sur le système d’exploitation de Google, il n’y aurait aucun problème pour utiliser les applis Google avec. (…)

Malheureusement, je dois rapporter ma Kindle Fire chez Best Buy, et récupérer quelques cartes cadeau. J’espère sincèrement que tu vas reconsidérer ce fait de bloquer les applis Google sur le Kindle Fire. »

Knieriemen n’est pas le seul à avoir noté l’absence des applis Google sur la tablette Fire. Walt Mossberg, dans le Wall Street Journal, écrit :

« Finalement, alors que la Fire, comme beaucoup d’autres tablettes, est basée sur le système d’exploitation Androïd, Amazon a pris le parti de cacher Androïd. Il évite son interface utilisateur et presque toutes les applis et tous les services de Google, y compris l’app store Google. »

Mais, pour Mossberg, la raison en est simple :

« Le logiciel de la Fire est entièrement tourné vers le contenu, vers les applis qu’Amazon vous a déjà vendus et l’achat facile de nouveaux contenus. »

En cela se confirme ce que j’écrivais il y a quelques semaines : la tablette Fire n’est pas exactement un concurrent de l’iPad, qui est utilisé par certains comme un substitut à l’ordinateur portable. Et ce doit être le cas de Greg Knieriemen, qui, alors, a toutes les raisons de rapporter sa tablette. Pour quelqu’un qui utilise quotidiennement un grand nombre des services de Google, en être privé sur un terminal qui doit rendre des services proches de ceux d’un laptop est insupportable.

Alors que le « moment ebook » est tout juste en train d’advenir en France, avec la mise en circulation probable d’un grand nombre de liseuses en cette fin d’année, celles d’Amazon, de Kobo, de Bookeen et d’autres, on voit que l’arrivée aux Etats-Unis des tablettes (Amazon, Kobo, Nook) n’est pas seulement l’opportunité d’ouvrir la lecture numérique aux livres de jeunesse, aux livres pratiques, aux beaux livres et aux livres enrichis. La Kindle Fire propose non seulement le téléchargement de livres, mais également l’accès à de la musique, des jeux, des films.

La tablette Fire serait-elle simplement une « machine à acheter » ? Ce fut l’une des principales critiques adressées à l’iPad au moment de son lancement. Et tout comme l’iPad, elle en est une, bien entendu. Mais pourquoi la société Amazon aurait-elle investi, pour un tel objet, dans la création d’un navigateur web spécifique, Silk, s’il s’agissait pour elle de proposer une simple machine à acheter, branchée de manière privilégiée sur sa boutique en ligne ? La tablette d’Amazon est aussi indissociable de son cloud que le sont du sien les terminaux d’Apple. On s’aperçoit que les lignes bougent, encore une fois, et qu’il devient impossible de tracer clairement et surtout définitivement les contours des activités de ces acteurs globaux. Apple, fabricant d’ordinateurs et de logiciels, s’est intéressé à la musique, aux livres, à la presse, au téléphone, à la télévision. Amazon a commencé avec les livres, puis agrandi son magasin en ligne à quantité de produits, ouvert son service AWS, développé des terminaux mobiles, offert des services aux auteurs, embauché des éditeurs. L’opposition tuyaux / contenus perd de plus en plus de sa pertinence, et tout se restructure aujourd’hui d’une manière nouvelle, autour d’acteurs qui investissent toujours plus dans des infrastructures lourdes, d’immenses fermes de serveurs, qui permettent de stocker et de faire circuler tout ce qui peut se transformer en bits toujours plus vite, toujours plus loin.

La tablette Fire est dotée d’un navigateur web développé par Amazon, Silk, qui inaugure une nouvelle génération de navigateurs.

Comme l’explique Louis Nauguès :

« Silk est le premier navigateur qui a été conçu dès le départ dans une logique Cloud Computing, par une entreprise, Amazon, qui est devenue en moins de 5 années le leader mondial des IaaS, Infrastructures as a Service, avec AWS, Amazon Web Services.

L’idée toute simple, mais révolutionnaire est de faire de Silk un «split browser», qui répartit l’ensemble des traitements liés à la navigation entre le poste de travail, Kindle fire, et le Cloud, AWS.

Ce qu’annonce Amazon, et qu’il faudra vérifier, est que cette répartition des traitements est totalement transparente pour les utilisateurs et s’adapte en permanence aux circonstances.

Il n’est pas très difficile de comprendre que les améliorations de performances, en particulier sur des objets mobiles tels que Kindle Fire, peuvent être spectaculaires. (…) le Cloud AWS d’Amazon dispose de connections fibres optiques très rapides permanentes et peut agréger des contenus venant des principaux sites Web en quelques millisecondes.

Si l’on y rajoute la possibilité pour AWS d’adapter le poids des pages et des images aux capacités d’affichage des objets d’accès, les transferts entre AWS et Kindle Fire seront beaucoup plus performants et rapides.

Plus l’utilisateur sera sur un réseau mobile lent, plus la perception d’amélioration de vitesse devrait être spectaculaire.

Le Web est le territoire parfait de la «coopétition», la collaboration entre compétiteurs et Silk le démontre une fois de plus. Amazon utilise pour Silk le protocole expérimental SPDY, substitut de HTTP, proposé par … Google ! »

Jusqu’à Silk, Amazon ne connaissait de vous que votre activité sur son site. Mais à partir du moment où vous laisserez le mode « split » du browser de votre tablette Fire activé, nombre d’informations concernant votre surf avec votre tablette transiteront par le cloud d’Amazon. Jon Jenkins, directeur des développements de Silk, a répondu sur ce sujet aux questions de l’Electronic Frontier Fondation

« Amazon nous assure que les seuls éléments d’information concernant le terminal qui seront régulièrement enregistrés sont :

1. L’URL de la ressource demandée
2. La date et l’heure de la requête
2. Un jeton identifiant une session

Ces informations sont stockées 30 jours. [le site d’Amazon ajoute « généralement »…] Le jeton ne contient aucune information permettant d’identifier un terminal ou un utilisateur, et est utilisé uniquement pour identifier une session. En effet, Jenkins déclare, « les identifiants individuels tels que les adresses IP et MAC ne sont pas associés avec l’historique de navigation, et sont uniquement collectés pour le cas de problèmes de fonctionnement ». Nous avons demandé à plusieurs reprises s’il y avait un moyen pour Amazon d’associer les logs avec un utilisateur particulier ou un compte Amazon, et il nous a été répondu que non, il n’en existait pas, et qu’Amazon n’était pas en position de pister les utilisateurs. »

Selon le blog naked security, la déclaration suivante de Jenkins

« Les requêtes sécurisées (SSL) sont routées directement depuis la Kindle Fire vers le serveur d’origine et ne passent pas par les serveurs EC2 d’Amazon »

est en contradiction avec la FAQ d’Amazon sur son site.

« Nous établirons une connexion sécurisé depuis le cloud vers le site propriétaire en votre nom pour les requêtes de sites utilisant (SSL). »

Voilà qui mériterait d’être éclairci. L’amélioration de l’expérience utilisateur est certainement un objectif important, et on sait que chaque milliseconde compte lorsqu’il s’agit d’afficher un site web. Et pour ceux qui n’ont pas confiance dans les déclarations d’Amazon, il est toujours possible de désactiver le mode « split browser ». On surfera moins vite alors… Encore une fois, l’utilisateur se retrouvera devant ce dilemme auquel on a fini par s’habituer : ou bien je renonce à un service pratique, rapide, agréable et tentant, ou bien je laisse un tiers accéder potentiellement à mes données personnelles, un tiers qui me jure, la main sur le cŒur, qu’il ne s’en servira pas.

Une bonne nouvelle pour la blogueuse du journal d’une lectrice, et pour tous ceux qui n’ont pas envie de devenir clients à vie d’un seul libraire : sur la tablette Fire, dixit Teleread, il est possible de télécharger les applications Kobo, Aldiko et BlueFire, qui permettent de lire des epubs. La société Amazon permettra-t-elle à leurs utilisateurs l’achat in-app ? Sera-t-elle tentée de faire comme Apple et de l’empêcher en exigeant de prélever sur ces achats un pourcentage prohibitif ?

Greg Knieriemen
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Books in Browsers : next gen publishing

Slide Brian 0'Leary - Books In Browsers 2011

Pas question, à peine revenue de mon intermède Polynésien et de trois jours à Francfort, de repartir presque aussitôt à San Francisco pour assister à la conférence Books In Browsers, qui se tenait les 27 et 28 octobre au siège d’Internet Archive, sous la houlette de Peter Brantley, avec la complicité de Kat Meyer, de chez O’Reilly. Mais, grâce à une diffusion vidéo de très bonne qualité, j’ai pu assister à la plupart des interventions, confortablement installée dans mon canapé.

L’écran de mon ordinateur était divisé en trois zones, l’une affichait la retransmission vidéo, une autre le fil Twitter avec le tag #bib11 – aujourd’hui, quelqu’un a posté l’ensemble des tweets sur Scribe – , et une troisième un traitement de texte, pour la prise de notes.

Le nom de cette conférence, « Books In Browsers » est un avertissement : ici, on aime les livres et on aime le web, et nul ne se sent obligé d’enterrer les uns pour célébrer l’autre, ou de sacraliser les premiers en méprisant le second. L’assistance (pas de Français, hélas, à part Hadrien Gardeur venu présenter la nouvelle version d’OPDS, mais des Espagnols, des Anglais, des Italiens, des Japonais, des Finlandais…) est composée d’éditeurs, de développeurs, de designers, de bibliothécaires, d’agents, d’auteurs, d’universitaires. L’ensemble est plutôt plus techno que dans les autres conférences, ainsi, lorsque Blaine Cook, un développeur venu présenter Newspaper Club demande à son auditoire combien d’entre ses membres savent ce qu’est Git, une forêt de mains se lèvent.

Je vous invite à consulter les présentations des différents intervenants, qui vont s’ajouter progressivement ici, et à regarder de temps en temps l’une des vidéos : elles s’ajoutent actuellement sur la chaîne YouTube d’O-Reilly. Et je ne vais pas me lancer dans une recension de l’ensemble des interventions, il y a là un matériau pour une bonne cinquantaine de billets… Quelques impressions, comme souvent sur ce blog impressionniste…

Richard Nash a proposé un bilan de son projet Cursor, et du site pilote Red Lemonade. Avec une transparence impressionnante, il a analysé publiquement l’échec de Cursor. Je n’ai pas su, a-t-il expliqué, trouver la « bonne histoire » à raconter aux investisseurs (Venture Capitalists). Les VCs veulent une bonne histoire, ils veulent aussi une histoire qu’ils reconnaissent, qui les rassure. Autant un projet bien peu pertinent comme celui de BookTracks, qui consiste à ajouter des bandes son sur des livres, a pu les convaincre, sur la base du « cela n’a jamais été fait » (comme si tout ce qui n’avait jamais été fait, il fallait absolument le faire…), autant le fantasme si répandu de la désintermédiation rendait le projet Cursor incompréhensible pour les investisseurs. Belle démonstration, ce témoignage de Richard, d’une qualité qui nous manque cruellement en France: celle qui permet de ne pas considérer un échec comme un désastre honteux, mais comme la preuve d’une capacité à innover, à sortir des sentiers battus et à prendre des risques.

Richard a décidé de continuer Red Lemonade sur une base bénévole, et, après avoir rencontré Valla Vakili, le fondateur de Small Demons, a été séduit par ce projet qui veut « rapprocher les livres, sources les plus riches et les plus denses de la culture, des autres objets culturels ». Le voici donc « VP of Content and Community » chez Small Demons, comme il l’explique ici.

La présentation de Small Demons par Valla Vakili m’a plutôt impressionnée. À première vue on se dit: « encore un Libraryting like, un site communautaire de partage de bibliothèques ». Il s’agit en réalité de tout autre chose, d’une plateforme qui extrait du web, se basant sur l’indexation du contenu des livres, des objets culturels en relation avec ces contenus. Ce n’est plus simplement l’algorithme d’Amazon qui dit : « vous avez aimé tel livre, ceux qui l’ont acheté ont aussi acheté celui-là, pourquoi pas vous ? ». C’est l’idée qu’un livre, y compris un roman, est bourré de références à d’autres objets culturels, qu’il s’agisse de morceaux de musique, de films ou de séries, de plats, d’objets, de lieux, et de proposer des liens, pour chaque livre, vers tous ces objets, et de se servir de ces liens pour proposer des découvertes. Il semble que l’ajout de liens entre livres et objets soit à la fois algorithmique et le fait des internautes. La démonstration donne réellement envie d’aller se perdre dans ce petit paradis de sérendipité que semble être Small Demons, pour l’instant en beta sur invitation. La vidéo de présentation est à voir.

photographie de Brian O'LearyJ’avais un peu de mal à garder les yeux ouverts au moment où Brian O’Leary, ( Magellan Media) a pris la parole car, avec le décalage horaire, il était plus de deux heures du matin samedi. Mais l’adresse de Brian était si ambitieuse, et entre si fortement en résonance avec ce que nous pouvons observer ici en ce moment, que je me suis vite réveillée. Eric Hellman, le fondateur de Gluejar, qui a lui aussi présenté son activité lors de la conférence, résume le propos dans son blog ce matin.

Eric cite Brian O’Leary : « Bien que les modèles économiques aient changé, les éditeurs et leurs intermédiaires continuent d’essayer de faire évoluer leur rôle sur le marché d’une manière qui suit typiquement la règle des négociations « deux parties – un résultat ».  » Il dit ensuite :

O’Leary a évoqué les changements qui sont en train d’intervenir dans l’écosystème de ce que l’on a appelé « le monde du livre  » : auteurs, agents, éditeurs, distributeurs, libraires, bibliothèques, et bien sûr lecteurs. Il a fait remarquer que les relations à l’intérieur de cet écosystème étaient aujourd’hui renégociées entre les acteurs sans prise en compte des changements à l’Œuvre dans le reste de l’écoystème.

« En conséquence, les structures, les dispositions, les processus qui pourraient être bénéfiques pour l’ensemble de l’écosystème n’obtiennent pas toute la considération qu’ils méritent.

O’Leary a cité l’exemple de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme un modèle possible d’inspiration pour la redéfinition d’un écosystème de la lecture. La percée dans ces discussions a été permise par l’introduction de modèles tirés de la théorie des jeux qui ont aidé les parties à apercevoir les effets des accords et des dispositions relatives à tous les intervenants dans le droit de la mer. »

En effet, on trouve une note concernant la théorie des jeux dans ce rapport de la FAO, se rapportant à un chapitre où est évoquée cette Convention :

« Si le même genre de modèle pouvait être développé pour les activités entourant l’édition, il pourrait être possible de faire beaucoup plus que « sauver l’édition ». Une application intelligente et collaborative des technologies numériques devraient être en mesure d’accroître l’efficacité d’une industrie dont le but est de promouvoir la lecture, l’éducation, la culture et la connaissance.

Selon O’Leary, nous devons trouver des façons de financer le genre de recherche qui pourraient être la base de la modélisation de l’écosystème de lecture. Une possibilité serait de créer une organisation interprofessionnelle pour ce faire. »

Et Richard Nash de twitter aussitôt malicieusement :

Il y a encore beaucoup à dire à propos de Books In Browsers 2011, et j’aurais aimé notamment revenir sur les interventions de Bill McCoy concernant EPUB3, d’Hadrien sur OPDS, de Mary Lou Jepsen (Pixel Qi) sur les écrans et l’accessibilité, de Bob Stein sur les lectures connectées, de Craig Mod, James Bridle, Joseph Pearson, Javier Celaya et quelques autres.

Les livres sont aujourd’hui, de plus en plus, traversés par le web, percutés par le web, générés par le web, diffusés sur et par le web, réinventés sur le web. Les projets présentés à Books In Browsers par plusieurs start-ups (liste ici ) explorent différentes dimension de cette réinvention, start-ups qui ont aussi profité de cette conférence pour tisser des liens les unes avec les autres, construisant, notait Peter Brantley sur Twitter ce matin, l’écosystème d’une édition nouvelle génération (next gen publishing).

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intermède : Lire en Polynésie

J’ai eu la très grande chance de faire partie des invités au salon « Lire en Polynésie ». J’ai rarement vécu semaine aussi dense, à mille lieues des cartes postales que je n’ai pas envoyées. Au fur et à mesure des rencontres, j’ai eu le sentiment que mon monde s’agrandissait, que le mot océan prenait un sens nouveau, que cet espace se dessinait progressivement sous mes yeux, que mon idée d’une île se modifiait, assise avec les autres participants sous le banyan qui abrite les rencontres « Lire en Polynésie ».

Ce salon du livre est organisé par l’Association des éditeurs de Tahiti et des îles (AETI). Porté plus particulièrement par un éditeur, Christian Robert qui dirige la maison Au Vent des îles, son thème cette année était la nature. J’étais, avec ma présentation sur les enjeux du numérique pour l’édition, l’invitée hors-sujet, venue cependant parce qu’il semblait impossible à Christian de ne pas évoquer les nouvelles technologies, compte tenu de ce qui se passe aujourd’hui dans l’édition, et dont les professionnels polynésiens ne peuvent se tenir à l’écart.

La veille de l’ouverture du salon, Christian nous a emmenés faire une promenade à Vaipahi. C’est en montant un chemin rendu glissant par les fortes pluies qui avaient bizarrement salué notre arrivée à Tahiti que j’ai commencé à faire connaissance avec les autres invités. Le seul que je connaissais déjà était Marc de Gouvenain, rencontré l’an dernier au salon du livre de Ljubljana, où il était venu parler de l’aventure de la série Millenium, dont il a été l’éditeur et le traducteur chez Actes Sud. Marc m’avait raconté comment, après avoir pendant des années découvert et traduit des auteurs scandinaves, il s’intéressait depuis quelques années à la littérature du Pacifique. Le saut me semblait un peu étrange, des brumes scandinaves aux rivages des tropiques, mais Marc, qui a publié récemment un roman au Vent des Iles, fait partie de la belle famille des écrivains voyageurs. Durant cette promenade, Pascal Dessaint,qui a eu sa période noire et est aujourd’hui dans sa période verte, souvent, s’est immobilisé, observant et nommant un oiseau après l’autre. Marchez avec un passionné d’ornithologie, qui est aussi un écrivain, et la forêt se peuple de nouvelles présences. Christian, lui, nous indique les noms des arbres et des plantes. Soudain, le chemin s’aplanit, voici une clairière, et le spectacle est si beau que l’on se dit que l’on pourrait s’assoir et rester à le regarder pendant des heures.

Pete Fromm, un auteur américain, ferait cela parfaitement. Cela a été une autre des grandes joies de ce voyage : faire la connaissance de Pete, écrivain du Montana, un merveilleux raconteur d’histoires. Lisez vite Indian Creek, dont il nous a raconté la genèse pendant le salon. Rosa, sa femme, est aussi de la promenade, éblouie et tout aussi étonnée et ravie que nous tous de se retrouver là. Alain Beuve-Mery, du journal Le Monde a aussi fait le long voyage (22h d’avion), et pense déjà à son article. Enfin, fermant la marche, un astrophysicien, qui va illuminer notre semaine de plusieurs conférences passionnantes, Jean Audouze, quelqu’un qui vient confirmer ce que j’ai souvent remarqué : les gens qui atteignent le plus haut niveau dans un domaine sont bien souvent aussi les gens les plus accessibles, les plus généreux, les moins intimidants.

D’autres arrivent le lendemain, certains venus en « voisins ». Les Calédoniens : Christophe Augias, le directeur de la bibliothèque Bernheim à Nouméa, et Jean-Brice Peirano, qui dirige la Maison du Livre de Nouvelle Calédonie. Paul d’Arcy, universitaire Néo-Zélandais, historien du Pacifique, enseignant à l’Australian National University. Enfin, Laurent Ballesta finit par se joindre à nous, je ne saurais dire d’où il arrive, cet homme ne cesse de parcourir la planète, de mission en mission, de préférence là où l’eau est profonde : biologiste, plongeur et photographe, c’est le fond des océans qu’il explore.

Ces invités, ainsi que de nombreux intervenants locaux, vont se succéder chaque jour, à la maison de la culture de Papeete, de 9h du matin à 19h, sur le paepae, cette plateforme à l’ombre de deux gros arbres, banyan et manguier, où sont disposées des chaises pour les participants ainsi qu’un grand écran plat pour les présentations.

Tout autour du paepae, éditeurs et libraires tiennent leurs stands, reçoivent la visite de groupes scolaires, de familles, de visiteurs de tous âges.

Lorsqu’un intervenant commence une conférence, les rangs sont parfois encore clairsemés. Mais les haut-parleurs répercutent leur voix dans les allées, et très vite le public se rapproche et prend place. Aucun d’entre nous ne songe à faire salon buissonnier, pour s’embarquer sur le ferry qui n’est pas bien loin et pourrait nous emmener en trente minutes sur l’île de Moorea qui se dessine à l’horizon.

Sous le banyan, Marc de Gouvenain joue les modérateurs d’un dialogue entre Jean Audouze et Simone Grand, confrontant l’approche scientifique de Jean à la parfaite connaissance de Simone des mythes polynésiens. Pete Fromm, lui, nous fait entrer simultanément dans la peau de l’apprenti ranger qu’il devint, par hasard, et dans celle d’un jeune auteur qui naît à l’écriture, lorsqu’il décide de mettre en mots cette expérience solitaire vécue dans la montagne, lors du cours de creative writing auquel il s’était inscrit parce qu’il lui manquait deux crédits pour obtenir son diplôme. Laurent Ballesta nous rappelle, aidé d’une série de photos splendides, que c’est bien à tort que nous croyons qu’il n’existe plus de territoires à découvrir sur notre planète. C’est vrai des terres émergées, mais le monde sous marin demeure, lui, largement inexploré. Et tout comme l’amélioration constante des instruments de vision, nous a rappelé Jean Audouze, permet d’en savoir toujours plus sur l’univers, celle des équipements de plongée sous-marine autorise aujourd’hui des explorations et des prises de vue à des profondeurs autrefois inatteignables, et pour des durées qui se sont notablement allongées.
Romancier, Pascal Dessaint qui nous a lu quelques pages de son prochain livre, est aussi, nous l’avons vu, ornithologue, et observateur passionné du monde naturel. De cette passion est né un film, l’esprit des plantes, dont il a écrit le scénario, construit comme une enquête policière, et dont les protagonistes sont des gazelles et des acacias, et les enquêteurs des universitaires spécialistes de la neurobiologie des plantes…

Un autre film, te henua e nnoho , grand prix du FIFO (Festival International du Film Océanien), est projeté le dernier jour. Le réchauffement climatique, la montée des eaux, pour les hommes, les femmes, les enfants qui vivent à Takuu, atoll de Papouasie – Nouvelle Guinée, sont une réalité on ne peut plus concrète. Quelques vagues plus puissantes qu’à l’ordinaire, et voici que l’eau est dans leur maison, que leur école est inondée, leurs affaires détrempées, leurs plantations fichues. Ce peuple, oublié par son gouvernement, vit en autarcie sur une île sans électricité, visitée de temps en temps par un bateau dont on ne sait jamais lorsqu’il va apparaître.

Le vendredi soir, le paepae accueille le spectacle Pina’ina’i – écho de l’esprit et des corps, un événement artistique original, rencontre d’auteurs, danseurs, musiciens, chorégraphes, présenté par la revue Littéramā’ohi : retrouvez photos et vidéos sur la page facebook de la revue, animée notamment par l’écrivain Chantal T. Spitz, dont j’avais lu avant mon départ Hombo, aux éditions Te Ite.

C’est Jean Audouze qui va conclure le salon. Lors de sa première intervention à l’Université de Polynésie, son exposé portait sur la géographie de l’univers. Partant de l’infiniment petit, il nous a emmenés jusqu’aux plus lointaines planètes. Cette fois-ci, c’est l’histoire de l’univers qu’il nous raconte, depuis le fameux big-bang. Je me sentais déjà toute petite, toute petite à Papeete, si brusquement éloignée de mon quotidien, et me voilà plus petite encore, un point minuscule, et je me console en apprenant que je suis faite, tout comme vous, de poussière d’étoiles.

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Tout le monde voit ce que c’est

Quelques images du Bookcamp 4, cette année dans les locaux tout neufs du Labo du Livre. Plaisir de retrouver une bonne partie de ma timeline, ceux que j’ai déjà rencontrés, mais aussi de mettre des visages et des voix sur des avatars et des textes.

On mesure combien les choses ont changé en quelques années, lorsque Hadrien Gardeur demande, commençant son exposé : « le EPUB, tout le monde voit ce que c’est? ». Ben oui, au Bookcamp 4, tout le monde.

Un grand merci aux organisateurs, Hubert Guillaud, Abeline Majorel, Lionel Dujol, Silvère Mercier, Clément Monjou, Samuel Petit, et à tous les Bookcampers.

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