Présent de l’indicatif

Ce qui m’a le plus frappée à Francfort, aussi bien au TOC que dans les allées de la foire, c’est une basculement très net dans les thématiques abordées par tous ceux qui s’intéressent au numérique. L’an dernier encore pas mal de conférences, ateliers, présentations se conjuguaient au futur : Le futur du livre, le futur de l’édition, la lecture demain … Cette année, c’est bien différent. On parle de numérique au présent. Finies les envolées lyriques qui commençaient à Gutenberg et se terminaient « in the Cloud. » Cela ne signifie pas du tout qu’une mutation complète s’est accomplie en l’espace d’un an. Cela signifie que cette mutation est désormais en Œuvre, de manière très concrète, et les professionnels du monde de l’édition ont aujourd’hui le souhait d’échanger non plus sur ce qu’il faudrait faire, ou sur ce qu’ils vont devoir faire, mais bien sur ce qu’ils sont en train de faire. Cela ne signifie pas non plus que le marché du livre numérique, et les usages autour desquels ce marché se construit, est déjà significatif dans toutes les parties du monde. En Europe, qu’il s’agisse de la France, du Royaume Uni, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, le marché demeure embryonnaire, et c’est seulement aux États-Unis, et selon des modalités différentes au Japon et en Chine, qu’il atteint aujourd’hui une taille qui commence à être significative. Dans d’autres parties du monde, comme en Amérique Latine, comme l’a souligné Pablo Arrieta lors de son intervention au TOC, l’offre en langue locale est encore totalement inexistante.

C’est ce qui a pu faire penser à certains que le TOC était un peu décevant, et qu’on n’y avait pas réellement trouvé d’idées nouvelles. Certes. Mais justement, c’est ce qui fait que le TOC ne m’a pas déçue : on n’y a pas beaucoup parlé d’idées nouvelles, on y a parlé de pratiques nouvelles, on y a abordé des expériences, des échecs comme des succès, on a pu confronter des témoignages, et découvrir comment ces idées nouvelles, lorsque l’on commence à vouloir les appliquer, les introduire dans la pratique, les incarner dans de vrais projets, suscitaient de nombreuses questions, très concrètes, très quotidiennes, auxquelles chaque éditeur qui passe du discours sur le numérique à la mise en Œuvre de pratiques numériques se confronte nécessairement.

Ma propre intervention, dont je vais prochainement mettre en ligne le verbatim, (le temps de mettre à jour sa version française, car j’ai modifié comme toujours pas mal de choses directement dans la version anglaise) je l’avais préparée tout à fait dans cet état d’esprit : témoigner, modestement, de la manière dont se mettait en place ce passage au numérique dans les maisons d’édition, sous différents aspects, de façon à rendre visible ce qui demeure caché, alimentant les innombrables tirades sur l’attitude timorée et archaïque des éditeurs. J’ai été particulièrement contente, peu après avoir terminé mon intervention, d’assister à celle de Dominique Raccah, des éditions Sourcebooks, qui présentait les expériences de sa maison et a répondu à une question de la salle de manière très catégorique. La question ? « Vaut-il mieux confier le numérique à une nouvelle équipe, distincte des équipes traditionnelles chargées des livres imprimées ? » La réponse : un « non » sonore de Dominique, qui m’a fait plaisir, car c’est aussi l’un des points sur lesquels j’ai été très affirmative dans mon intervention. Non, il ne faut pas confier le numérique à une équipe dédiée, et laisser le reste de l’entreprise à l’écart des mutations. Surtout pas. Je ne vais pas reprendre ici l’argumentation, je voulais juste souligner cette convergence de vues, qui m’a fait plaisir venant d’une femme dont j’admire le dynamisme et la clairvoyance, et dont je suis depuis longtemps les expériences. Toute son intervention était d’autant plus intéressante qu’elle était ancrée dans ces expériences, qu’elle s’appuyait sur des faits, sur du vécu. À ceux qui disent « le livre numérique ne coûte rien », Dominique répond, non pas sur un plan idéologique, mais très concrètement, en indiquant le nombre de formats distincts dans lesquels elle doit livrer ses fichiers, si elle veut pouvoir être distribuée sur l’ensemble des canaux actuels, et le nombre de nouvelles interventions que cela implique à chaque fois. A ceux qui s’impatientent de voir les éditeurs tirer réellement partie du numérique avec des Œuvres nouvelles, multimédias, interactives etc. elle présente différents projets, annonce leur coût, et le petit nombre de ventes réalisées, et montre que ce modèle est loin d’être facile à construire. Mais elle ne se décourage pas pour autant, convaincue qu’elle est que chaque fois qu’elle attend d’être sûre, elle rate une occasion d’apprendre. Elle est partisan des tests, des projets légers et rapides, des prises de risque à petite échelle, mais nombreuses et permanentes, et elle associe l’ensemble de sa maison à l’aventure.

Ainsi, le basculement se fait. Lorsque une maison d’édition passe des rèveries numériques à la mise en place d’une véritable filière numérique, chaque jour qui passe soulève de nouvelles questions, dans tous les domaines, juridique, éditorial, technique, commercial. Tous les niveaux sont touchés : les procédures, les systèmes d’information, les usages. Très peu de cela est encore visible, ce qui alimente évidemment l’impatience et la raillerie de beaucoup. Parfois, j’aimerais galoper en avant avec les éclaireurs. Le plus souvent, je me réjouis de côtoyer au quotidien, ne cessant d’apprendre d’eux bien plus que je ne puis leur apporter, ceux qui se retrouvent nombreux chaque année, pour une semaine pleine de rituels que je continue de découvrir un à un, à Francfort.

Publié dans édition, édition électronique | Marqué avec , , , , | 2 commentaires

sortir de son monde – #bookcamp3

Ce qui fait que j’aime venir au Bookcamp, c’est aussi ce pour quoi j’aime la littérature. Ce que j’aime, c’est sortir de mon monde. Ce qui me plaît au Bookcamp, par exemple, c’est que l’assistance de l’atelier intitulé « et on donne à manger quoi ? » animé par François Bon, Xavier Cazin et Julien Boulnois est composée d’un grand nombre de bibliothécaires, et que leurs questions, leurs réactions, me montrent des facettes d’un métier que je ne connaissais pas. C’est qu’en écoutant Hadrien expliquer OPDS, je comprends (un peu) mieux de quoi il retourne, suffisamment pour avoir envie d’essayer d’aller plus loin, et de creuser l’affaire une fois rentrée chez moi.

C’est ça, le Bookcamp. C’est aussi retrouver ceux avec qui s’est tissée une amitié, au fil des événements de ce type et des commentaires croisés sur les blogs.

C’est prendre des notes directement sur Twitter – avec le hashtag #bookcamp3 – jusqu’à ce que la batterie de l’iPhone déclare forfait.

C’est l’horrible obligation de devoir choisir parmi les ateliers qui se déroulent en même temps, et de devoir rater trois fois de suite les trois autres.

Sortir de son monde pour en inventer un, vaste, commun, multiple, ouvert. Un monde de circulation des Œuvres numériques qui peine et qui tarde à se stabiliser. Un monde suffisamment complexe pour qu’on doive s’attarder encore à ce qui devrait dans quelque temps en constituer le soubassement, avant de pouvoir l’habiter tout simplement, avec nos lectures-écritures, nos idées-images, nos phrases-flux, nos solitudes-rencontres.

Merci à Hubert, Silvère, Lionel, Clément qui organisaient.

Publié dans ebook, édition, édition électronique, hors ligne, la vie numérique | Marqué avec | 3 commentaires

Changer nos façons de travailler (3)

Clément Laberge signale sur son blog le billet de Hugh Mc Guire sur O’Reilly Radar : The line between book and Internet will disappear. La dernière partie de ce billet me rappelle une question que j’avais posée à Christian Fauré il y a déjà deux ans : « Comment expliquer ce qu’est une API à un patron d’édition ? » et à laquelle il avait répondu dans ce billet. Que dit Hugh Mc Guire ? Que ce qui se passe aujourd’hui dans le monde de l’édition est une étape transitoire. Une étape que j’avais désignée un jour comme le « moment ebook » : une transposition, la plus littérale possible, des livres sur des supports numériques. Et cette étape, déjà, nécessite des changements importants dans les maisons d’édition.

Ce qu’évoque Hugh Mc Guire dans son billet, c’est l’étape suivante. C’est en pensant à cette étape suivante que j’avais eu envie de poser ma question à Christian. À ce moment, le monde de l’édition entrera de plain pied dans l’écosystème d’Internet. Les livres numériques que nous fabriquons aujourd’hui sont, du point de vue de la logique web, des objets assez paradoxaux, comme suspendus entre l’objet livre dont il sont le simulacre, et le destin numérique qui les attend :

« Une API (Application Programming Interface) est une interface de programmation. C’est ce que les sympathiques entreprises du web construisent, pour faire en sorte que d’autres entreprises innovantes et développeurs puissent construire des outils et des services s’appuyant sur leurs propres bases de données et services.

Par exemple :

Google Maps a une (et même plusieurs…) API(s), de sorte que les services de géolocalisation (par exemple Yelp) peuvent utiliser Google Maps et les informations business qu’il contient pour mieux servir ses clients de niche.

Twitter possède une API, ainsi des services tiers peuvent construire des clients Twitter, rechercher sur Twitter, fournir des statistiques sur Twitter etc…

Amazon a une API, qui permet aux développeurs de trouver des produits et de pointer sur l’information qui leur est associée.

Wikipedia a une API, ainsi on peut faire quelque chose comme de fabriquer des livres à partir de l’ensemble des versions successives de l’article de Wikipedia concernant la guerre d’Irak.

Nous sommes encore très très loin du moment où les éditeurs se considèreront eux mêmes comme des fournisseurs d’API, des Interfaces de Programmation des livres qu’ils publient. Mais nous avons observé à de nombreuses reprises que la valeur augmente lorsque les données s’ouvrent (parfois de manière sélective) au monde. C’est vraiment pour cela qu’Internet est fait ; et c’est là où l’édition de livres va aller. Finalement.

Je ne sais pas exactement ce à quoi une API pour les livres pourrait bien ressembler.

Je ne sais pas quelles choses géniales les gens vont commencer à faire lorsque les livres seront réellement sur Internet.

Mais je sais que cela va arriver, et que l’avenir de l’édition a quelque chose à voir avec cela. Le monde actuel des livres numériques n’est qu’une transistion vers un écosystème de l’édition de livres numériques connectés qui ne ressemblera en rien au monde des livres dans lequel nous vivons aujourd’hui. »

Aujourd’hui, déjà, nous changeons nos manières de travailler, pour créer et diffuser des livres en version numérique. Mais ne croyons pas qu’une fois cette transition effectuée, une fois que ces changements auront été parfaitement intégrés, nous pourrons nous asseoir et souffler. Il est fort probable, au contraire, que des changements bien plus importants nous attendent. Et c’est maintenant qu’il faut y penser, c’est aujourd’hui qu’il faut s’y préparer, en demeurant curieux et ouverts, attentifs à ce qui se passe sur le web, actifs sur les réseaux, curieux des avancées et des innovations. Pas plus que Hugh Mc Guire je n’ai une idée bien précise de ce à quoi ressembleront ces « API des livres ». Mais je partage cette intuition que c’est ce qui nous attend.

On ne s’étonnera pas de trouver Hugh Mc Guire parmi les intervenants d’un événements organisé par Internet Archive à San Francisco les 21 et 22 octobre prochain, intitulé « Books in Browsers ».

Publié dans amazon, édition, édition électronique, epub, la vie numérique | Marqué avec , , , , , | 3 commentaires

Changer nos façons de travailler (2)

Tout semble indiquer aujourd’hui que la lecture de livres numériques est progressivement en train de gagner en popularité, de sortir du cercle des early adopters et de se développer. Cela s’observe principalement aux USA, (bien qu’il semble que la Chine ne soit pas en reste), mais concernera également l’Europe rapidement. Un exemple parmi d’autres, assez frappant, cité par Mediabistro / Galleycat

« La romancière Laura Lippman a vendu 4 973 livres numériques et 4 000 livres en version imprimée grand format de « I’d Know You Anywhere » depuis que ce nouveau thriller a été mis en vente le 17 août.

Le Wall Street Journal a parlé au vice-présiedent d’HarperCollins Frank Albanesa de cet événement. Il explique : « C’est le premier de nos livres importants qui se vend plus en version numérique qu’en grand format imprimé la première semaine… Ce que nous observons aujourd’hui c’est que si un livre obtient de bonnes critiques, l’accélération est plus rapide du côté des achats en numérique que du côté des achats de livres physiques, parce que les gens qui possèdent une liseuse ou une tablette peuvent acheter et se mettre à lire immédiatement. » « 

Les choses s’accélèrent bel et bien, et il est loin le temps où l’édition électronique semblait ne concerner que certains types de livres, et où l’on pouvait affirmer que jamais rien ne rivaliserait, pour la lecture immersive, avec le livre imprimé.

Les choses s’accélèrent, et la nécessité de changer nos façons de travailler devient une nécessité urgente : il faut non seulement changer, mais il faut changer vite. Pas simplement gérer une évolution progressive, faire évoluer doucement les modes de production, introduire ça et là des modifications, commencer timidement à imaginer de nouveaux modèles économiques, encourager des tests sporadiques. Non. Il y a, il va y avoir, très vite, disruption. C’est peut-être une bonne nouvelle : il est plus difficile de convaincre des professionnels d’intégrer de nouvelles pratiques lorsque la perspective est floue. Comment être bien accueilli en disant : « Il va falloir que chacun fasse l’effort de particpier à la mise en place d’une filière supplémentaire de production, afin de rendre disponibles chacun des livres que nous produisons à la fois en version imprimée et en version papier. Ce sera difficile, chronophage, cela coûtera cher, et cela ne rapportera pratiquement rien. »
Si on vend seulement quelques dizaines de livres numériques, il est évident que quel que soit ce qui se raconte un peu partout sur le coût du livre numérique, le fait d’alimenter, parallèlement à la filière livre imprimée, une filière numérique, ne peut que venir plomber les résultats, chaque livre numérique vendu étant un facteur de coût et non l’inverse. Difficile de susciter l’enthousiasme général dans pareil contexte.

Nous n’en sommes pas, cependant, en France, au même stade que les Américians. Il y a plusieurs raisons à cela, qui devraient devenir caduques assez rapidement :

– Le parc de terminaux de lecture demeure faible.
Même si le PC est très répandu, et que c’est un terminal de lecture privilégié pour quantité de lectures, ce n’est pas sur Pc que nous lirons des romans ou des essais. On ne connaît pas exactement le nombre de liseuses et d’iPad en circulation, mais en croisant des chiffres concernant les ventes de liseuses et les ventes d’iPad, on arrive à quelques dizaines de milliers, ce qui est largement insuffisant pour constituer un marché.

– Aucune liseuse disponible actuellement sur le marché ne dispose d’un accès direct en 3G ou Wifi à des librairies en ligne.
Et on a bien vu, aux Etats-Unis, que c’est cette disponibilité qui a permis le décollage des usages. Le fait de devoir passer par son PC pour alimenter sa liseuse est fastidieux, et supprime l’achat d’impulsion.

– Le catalogue de livres disponibles en numérique demeure restreint
Même s’il s’enrichit chaque jour de nouveaux titres, même si de nombreux éditeurs se sont mis à publier simultannément leurs nouveautés en version imprimée et numérique, même si d’autres ont opté pour une publication nativement numérique, le choix est encore beaucoup trop limité, et il est absolument impératif que ce choix s’accroisse considérablement, pour satisfaire la diversité des lecteurs : que des éditeurs de plus en plus nombreux s’y mettent, tant en ce qui concerne les nouveautés que le fonds qui reste encore largement à numériser.

– Une diversité de canaux de diffusion est nécessaire, qui se met en place progressivement.
Les libraires ont un rôle actif à jouer dans le numérique, certains le font déjà ( Aldus tient une liste à jour ici ), apportant leur savoir-faire, leur talent de prescripteurs, pour faire en sorte que les livres ne soient pas de simples produits d’appel, mais bel et bien soutenus et défendus par des professionnels pour lesquels ils représentent le cŒur de leur activité. On attend aussi l’ouverture prochaine du site des libraires, 1001libraires.com, qui offrira la possibilité aux librairies adhérents d’ouvrir un site vitrine ou un site de e-commerce, et intégrera la vente de livres numériques

Avec des liseuses connectées, des appareils (liseuses et tablettes type iPad) vendus en plus grand nombre, la multiplication des points de vente, une offre plus riche, devrait pouvoir être levé à très court terme l’un des principaux freins au changement : l’absence de toute perspective économique, qui rend difficile la motivation. Et c’est tant mieux, car le tournant 2010 – 2011 s’annonce assez sportif, non ?

Publié dans ebook, édition, édition électronique, la vie numérique, liseuses | 3 commentaires

Tout sur le « jisui »

Alors que j’emploie l’un de mes derniers jours de vacances à essayer de faire un peu de place dans ma cave, je cherche sur le web pendant combien de temps il est obligatoire de conserver certains papiers, et je m’aperçois que je vais pouvoir en jeter pas mal, la plupart des papiers que j’hésitais à jeter peuvent l’être au bout de 5 ans, et beaucoup d’autres au bout de 2 ou 3 ans. J’ai conservé par flemme un tas de vieux papiers administratifs, dont certains sont encore en francs… Allez ouste !
Mais les livres ? Les livres que j’ai mis en punition dans ma cave, non parce que je ne les aimais plus, ni voulais m’en séparer, mais parce que d’autres livres arrivaient, et que je n’ai pas la chance de disposer de linéaires de bibliothèque extensibles à l’infini… Je me résouds à me séparer de quelques uns, des mauvais romans (erreurs vite regrettées, reliures intactes ), des livres obsolètes (sur les technologies de l’information, l’obsolescence vient vite…). Mais les autres ? Je me contente de les feuilleter, de chercher un instant sur quel petit pan de mur oublié de mon appartement je pourrais installer des étagères, puis de de refermer les cartons, allégés de « introduciton à HTML4 » et « maîtriser photoshop 2 ». Un instant, l’idée m’effleure que j’aimerais pouvoir numériser d’un coup tous ces cartons, avant de m’en débarasser. Garder ces livres, sans leur matérialité pour laquelle je n’ai pas de place.

Et je tombe ce soir sur un twitt de Peter Brantley, repris par Tim O’Reilly :

J’apprends en lisant cet article du Mainichi Daily News que « jisui », ça veut dire à peu près « nourriture cuisiné par soi-même ». C’est ainsi que l’on désigne une pratique qui se développe actuellement au Japon et qui consiste à numériser chacun ses propres livres. Pas aussi aisée à première vue que celle qui consiste à « ripper » ses CD pour pouvoir les écouter sur son iPod… Mais le fait est là : les ventes de scanners ont augmenté sensiblement, et ceux-ci permettent aujourd’hui de numériser en un seul passage le recto et le verso d’une page. Le livre doit être coupé au préalable, et les ventes de massicots augmentent également, pour faire ce que l’on nomme de la « numérisation destructvie » – qui détruit l’original. Mais vaut-il mieux un original intact enfoui dans un carton dans une cave qu’un original détruit qui demeure accessible à la lecture ?

L’une des raisons du « jisui », c’est que beaucoup de livres au Japon (comme ici) ne disposent pas encore d’une version numérique, et que ceux qui ont adopté la lecture électronique veulent pouvoir lire leurs livres de cette manière. Le manque de place pour stocker les livres peut également être une explication.

« PFU, qui appartient au groupe Fijitsu, a indiqué que ses ventes de scanners en Juin représentaient le double de celles enregistrées les mois préédents. Et le principal revendeur en ligne Amazon a également vu les commandes de scanners et de massicots doubler d’avril à juin. Entre-temps, le revendeur Yodobashi Camera a installé dans son magasin de Shinjuku Nishiguchi un stand permettant de montrer à ses clients comment procéder à la « numérisation maison ». »

Il est fort probable qu’une fois numérisés, de manière légale – il s’agit de copie privée – nombre de ces livres sont aussi partagés en ligne. Mais ce n’est pas apparemment l’objectif premier des adeptes du « jisui » : il s’agit bien de convenance personnelle. Ces gens sont passés à la lecture sur teminal électronique, et veulent pouvoir accéder aussi bien aux livres qu’ils possédaient déjà qu’à ceux qu’ils vont acquérir directement au format numérique.

Il y a là aussi une sorte de paradoxe : ces livres gardés dans des cartons, auxquels je n’accède pas facilement, je suis cependant en mesure de les retrouver. J’ouvre le carton, je prends le livre, je les feuillette, je peux décider d’en relire quelques uns. Mais les livres que j’achète aujourd’hui en version numérique, qu’en sera-t-il dans 10 ou 20 ans ? Est-ce que j’aurai toujours accès à ces fichiers ? Est-ce que les machines qui existeront alors me permettront de les lire ?

Les amoureux du livre, ceux qui parlent de l’odeur de l’encre et du papier ( pour qui j’ai le plus grand respect ) frémiront : certains lecteurs aiment tellement leurs livres, qu’ils sacrifient sans hésiter leurs exemplaires papier pour pouvoir les lire de la manière qui leur plaît. Times they are a changin’ !

Publié dans ebook, édition électronique, la vie numérique | 17 commentaires

Changer nos façons de travailler (1)

J’ai bien choisi mon titre, vraiment, et je suis bien aise de commencer à rédiger ce billet un jour de congé, parler de nos façons de travailler un jour où je ne travaille pas (je n’ai jamais considéré le fait de tenir ce blog comme un travail) alors que j’ai pris deux jours de congé pour dessiner un grand pont du 14 au 17 juillet, et que je me suis enfuie de Paris, c’est une idée formidable. Oui, car comment réfléchir sur nos façons de travailler en continuant à travailler ? C’est en fait toute la question que je vais finalement essayer d’aborder au prochain TOC, oui, j’ai échappé au truc dont je parlais dans le billet précédent (« the down sides of digital publishing ») : c’était vraiment trop flippant.

Je ne vais pas me lancer dans un truc de consultant sur le changement, il y en a qui font ça très bien, la gestion du changement, avec des formules, des beaux acronymes à mémoriser, des mantra en veux-tu en voilà. Juste essayer de témoigner de ce qui se passe dans de nombreuses maisons d’édition, aujourd’hui, où il est nécessaire de changer certaines façons de travailler, tout en continuant à travailler. Alors que nous sommes pris entre deux flux qu’il est très difficile de concilier : un flux permanent d’informations et d’annonces, d’innovations, et le flux régulier du travail habituel. Comme le résument souvent les équipes que je rencontre : « On a des livres à faire ! ». Et ceux qui disent cela ont raison, ils ont des livres à faire, des manuscrits à lire, des auteurs à rencontrer, des épreuves à corriger, des lancements à organiser. Et ce n’est pas parce que les ventes de livres numériques décollent aux USA, que les publicités pour l’iPad surgissent sur les abribus, ce n’est pas parce que les technologies évoluent, que certains lecteurs s’impatientent de voir grossir l’offre disponible en numérique, que les offices vont être suspendus, que les libraires vont cesser de proposer des livres imprimés, que l’activité habituelle va diminuer brutalement ou s’arrêter. Même si la proportion de ventes de livres numériques atteint aujourd’hui 3% en France, et si on annonce 5, puis 10 ou 15% à moyen terme, il reste aujourd’hui que 97% des ventes de livres sont des ventes de livres imprimés. Oui : « On a des livres à faire. »

Et cependant le changement n’est pas optionnel. Il faut faire ces livres imprimés ET changer cependant notre façon de les faire, pour prendre en compte les changements qui ne nous attendent pas. Et tout le monde déteste le changement, en particulier le changement imposé, celui qui touche aux habitudes de travail, vient chambouler le quotidien, fait surgir des questions là où le savoir-faire et l’expérience avaient apporté des réponses évidentes, si intégrées dans les pratiques que toute idée de question ou de problème était absente. « J’ai toujours fait comme ça. ». Ben oui. Mais c’est fini, toujours, et on va faire maintenant un peu différemment. Pas une bonne nouvelle.

Si encore on avait des recettes, des certitudes, des promesses. Si on pouvait tranquillement montrer une voie claire et dégagée vers un avenir riche d’innovations gratifiantes. Ce n’est pas le cas. L’incertitude est grande sur l’avenir de nos métiers, et ce qu’il est avant tout nécessaire d’apprendre, c’est à vivre avec cette incertitude, à avancer sans crainte vers l’inconnu. Et nous ne sommes pas du tout égaux les uns et les autres dans nos capacités à affronter cette nécessité.

Alors ? Expliquer, informer, répondre aux questions, accompagner. Et se dire, toujours, que si l’autre n’a pas compris, c’est que l’on n’a pas correctement ou suffisamment expliqué, que l’on n’a pas su écouter, et recommencer. Se tenir informé pour essayer de discerner des voies, des pistes, des façons d’avancer. Trouver les sentinelles qui seront les meilleurs relais. Rester enthousiaste. Bannir les mots « peur, danger, crainte », et préférer « opportunité, innovation, imagination ». Saluer chaque avancée, chaque progrès, applaudir les premiers pas, ce sont les plus difficiles, toujours, et tous les voyages commencent ainsi, un, deux, trois pas.

Pourquoi est-ce si difficile ? Je finis pas me dire que les difficultés viennent d’une rupture bien plus radicale que celle qui consiste à mettre en place de nouvelles procédures, permettant de publier simultanément une version numérique et une version imprimée de chaque ouvrage. Même si c’est ainsi que cela commence, forcément. On pense le nouveau avec les outils de l’ancien, c’est toute la problématique du « livre homothétique », du fac-similé numérique d’un livre. C’est toute cette discussion infinie, vraiment infinie sur la définition du livre numérique, ce qu’il est, ce qu’il n’est pas.

La difficulté, c’est celle que nous avons à penser dans le temps. Nous avons du mal, en toute circonstance à penser dans le temps, qui nous échappe par définition. Pour penser, nous arrêtons les choses, nous les fixons, nous attrapons les papillons de la réalité et fixons leurs ailes avec des épingles, simplement pour pouvoir penser calmement. Et le plus gros changement que le numérique entraîne pour le livre, c’est un changement du temps du livre. Chacune des temporalités du livre est revisitée et complètement bouleversée. Le temps de l’écriture, certainement, on peut aujourd’hui voir le texte s’écrire, le texte n’attend plus rien de l’encre et du papier, n’a plus besoin de fixité, il se déploie, il n’a besoin que de 0 et de 1, il s’envole des claviers vers les écrans, à peine écrit il est potentiellement disponible en mille lieux. Et même si l’on choisit de donner au texte la forme close d’un livre, parce que cette forme a bien des avantages, le livre numérique ne meurt jamais, ne s’épuise pas, sa publication est définitive. Placé sur un serveur, il attend son lecteur. Bien sûr, les médiations demeurent. Mais certaines d’entre elles sont des algorithmes. On peut trouver un livre numérique sans le chercher, on peut buter dessus sur le web, en réponse à une requête. Kevin Kelly, dans l’article traduit par Hubert Guillaud met en évidence certaines de ces caractéristiques. Nicolas Carr, dans un livre dont je n’ai lu que des résumés et des extraits, s’inquiète des conséquences sur notre fonctionnement psychique de nos lectures fragmentées, de l’envahissement de nos vies par les écrans et le culte de l’instantané.

Alors bien sûr, on procède par étapes. On part de ce que l’on connaît. Aux librairies qui proposent des livres imprimés s’ajoutent des e-librairies, fondées sur un modèle identique, transposé sur le net. Même si certains, comme Mike Shatzkin, s’interrogent sur le bien-fondé de ce cette transposition, et se demandent si, contrairement à ce que craignent de nombreux acteurs du monde de l’édition, nous n’allons pas assister, plutôt qu’à une très forte concentration des lieux de vente virtuels de livres numériques (la grande crainte des big 3, Amazon, Google, Apple), à une multicplication à l’infini des lieux de disponibilité de ces livres sur le web. C’est ce qu’il appele le  » vertical » Chaque carrefour d’audience web, même la plus modeste intersection, rassemblant des gens autour d’un centre d’intérêt, d’une passion, d’un hobby, est une librairie potentielle, pour peu que des solutions distribution et de de vente en ligne soient disponibles et faciles à installer.

Quel tissu de digressions ! Peut-être. Mais comment changer si l’on n’a pas une représentation à peu près nette des directions à prendre ? Si l’on a pas idée de ce qu’est « the big picture » ? Le changement s’articule vraiment dans un va-et-vient permanent entre les représentations et les façons de faire. Et la vision de ce changement s’instruit en permanence du détail de sa mise en Œuvre, tout comme ces détails ne peuvent être abordés sans une ligne conductrice, même si celle-ci est parfois en pointillés.

Ce billet est affreusement long, et c’est bon signe : il y a matière à réflexion, évidemment, et à discussion, j’espère. J’aimerais pas arriver au TOC les mains vides. Donc, à suivre…

Publié dans la vie numérique | 10 commentaires

Normandie ?

normandie Il y a un an j’avais le sentiment de perdre le rythme lorsque je laissais passer une semaine entre deux billets, et là, je vais bientôt pouvoir compter en mois.

Dire « je suis débordée » serait idiot, tout le monde est débordé, je déteste les gens qui disent qu’ils sont débordés comme si cela leur donnait de l’importance, alors que cela ne leur donne aucune importance particulière, cela leur en enlève, de l’importance. Ils disent : « je suis débordé », mais il faut comprendre : « je suis très très grand, puissant et fort » et curieusement, je les vois rapetisser au fur et à mesure qu’ils me parlent, tellement petits, que j’ai l’impression qu’ils s’éloignent, et c’est tant mieux, bon débarras.

Donc, oui, bien occupée, pas plus débordée que vous, ni plus fatiguée, juste perdu le rythme, dévissé. Disparues l’envie, l’humeur blogueuse, la légèreté… Bon, j’essaye, allez, j’ouvre l’interface de mon WordPress, qui me répète depuis des mois « pensez à faire une mise à jour ». Je ne trouve plus le temps de bloguer, mon WP chéri, quand crois-tu que je trouverai celui de te mettre à jour ? Va-t-elle revenir, cette humeur légère ? Retrouverai-je ce plaisir de démarrer une conversation avec vous, d’aller dénicher un lien, une image, de trouver le ton et le rythme, de traduire pour vous un extrait pêché dans mon agrégateur, et d’accrocher autour, comme des guirlandes, quelques idées, quelques questions ?

François me dit que je devrais bloguer autre chose que des histoires d’édition et de numérique, sortir des ibouqueries, vous parler de la Normandie par exemple, mais j’y vais plus en Normandie, la maison de famille est à vendre, plus envie d’y aller juste pour me faire du mal en pensant que des gens accrocheront bientôt une balançoire pour leurs mômes à l’arbre du trapèze, mais non, idiots, ce pommier-là c’est pour accrocher le trapèze.. Non, brrr… pas la Normandie.

Je vais être bien plus pragmatique, moderne, absolument pas du tout nostalgique de rien du tout, pas sentimentale, non, impec, fonceuse et performante… Je vais essayer de préparer en bloguant une intervention que je dois faire n octobre au TOC de Francfort, histoire d’anticiper un peu, et d’éviter le coup de stress (voir plus haut) une semaine avant comme l’an dernier, et surtout de vous faire bosser un peu, genre crowdsourcing, vous me donnez des idées (rappelez vous, quand on donne une idée, on la garde quand même, c’est ça qui est bien…, pas de garde alternée pour les idées, pas de week-end sur deux.)

Voici ce que me propose l’équipe du TOC, bien sûr c’est une suggestion, et je peux recadrer, suggérer autre chose…

Numérique : le côté obscur
L’avènement de l’édition et de la distribution numériques présente un certain nombre d’opportunités pour les éditeurs, auteurs, et lecteurs, mais cela crée aussi pas mal d’occasions d’attraper des maux de tête… Dans cette présentation, Virginie Clayssen (la fille qui ne blogue presque plus ), explore de quelle manière le numérique est suscpetible d’affecter : les ventes de livres imprimés, les lois sur la propriété intellectuelle, la question des droits territoriaux, les lois sur le prix unique, les modèles de distribution numérique, le copyright, et propose des idées sur la manière pour les éditeurs de relever ces défis.

Voilà, tout ça en trois quart d’heure plus les questions… Je crois que je vais commencer par 1) élaguer 2) changer le titre qui est vraiment trop déprimant (en fait j’ai traduit comme ça « Digital, the down side »). Bon, il y en a qui ont le droit de faire rêver tout le monde, de parler de livres augmentés, de lectures partagées, d’innovations, de création et de joyeusetés, et moi, voilà que j’aurai la triste tâche de parler des trucs vraiment pas drôles, le prix unique, c’est bien je sais, mais ça fait pas rêver les foules, à part quelques foules de libraires et d’éditeurs… Les droits territoriaux, la distribution, c’est chouette, où est mon Efferalgan, non mais je rêve, je suis censée parler des trucs qui nous donnent mal à la tête ? Finalement, François, la Normandie, c’était plutôt une bonne idée.

Publié dans la vie numérique | 7 commentaires

liseuses : guerre des prix aux USA

Avant même son lancement, l’iPad d’Apple avait provoqué aux USA des changements notables dans le paysage du livre numérique : on se souvient que John Sargent, CEO de Macmillan, après avoir obtenu d’Apple un contrat de type « agency model », avait réussi à faire plier Amazon, et à négocier des conditions équivalentes pour les ventes de livres numériques sur le Kindle, bientôt suivi par 4 autres des « big six ». Le résultat, une augmentation, chez tous ces éditeurs, des prix de vente de leurs livres numériques, passant de 9,90 $ à 12,99 ou 14,99$.

Quelques semaines après, où en est-on ? L’iPad se vend bien, 3 millions de machines écoulées à ce jour (dans plusieurs pays.) Le Nook de Barnes & Noble réussit également à s’imposer, notamment parce qu’il est vendu en librairie – chez Barnes & Noble (nombreux sont les clients qui souhaitent essayer une liseuse avant de l’acheter). Kobo a également son reader, vendu chez Borders. La gamme de liseuses Sony semble assez distancée, qui n’a de partenariat avec aucun e-libraire, et ne propose encore aucune liseuse connectée.

Mais comme rien n’est simple dans le monde de l’édition numérique, Kobo dispose également d’une appli iPad, tout comme le Kindle, tout comme Barnes & Noble. Un intéressant comparatif de ces différentes applications, dans lequel figurent également des applications indépendantes de tout device comme Ibis Reader ou Stanza, est disponible sur ZDnet.

On se doutait bien que le prix des liseuses allait chuter rapidement : c’est Barnes & Noble qui a ouvert la danse, avec un Nook wifi annoncé hier à 149 $, et le même avec 3G à 199$. Quelques heures plus tard, Amazon réplique en diminuant de 70$ son Kindle , qui passe de 259 à 189 $.

Tout cet écosystème est encore loin d’être stabilisé, alors que les ventes de livres numériques continuent d’augmenter : les statistiques de l’IDPF (qui concernent exclusivement la « littérature générale » ) indiquent 91 M$ de CA pour le livre numérique au 1er trimester 2010 (contre 25 au premier trimestre 2009).

Bon, j’ai mis plus de chiffres dans ce post que dans 10 des mes précédents réunis, alors j’arrête avec les statistiques et les dollars. Ce qui compte, c’est ce qui se profile derrière ces chiffres et ces annonces. Certainement, et Mike Shatzkin le souligne aujourd’hui, une vraie complexité, dont il affirme qu’elle devrait réjouir les éditeurs, car elle pourrait décourager les auteurs tentés de se lancer dans le « do it yourself ». Il appartiendra aux éditeurs d’apprivoiser cette complexité, afin d’être en mesure de dire à leurs auteurs : ne vous embêtez pas avec tout ça, c’est affreusement compliqué, on va s’en occuper, vous avez bien mieux à faire…

L’idéal serait que cette complexité ne soit pas infligée aux lecteurs, et nous n’y sommes pas encore tout à fait. Enfin : tout est simple à qui consent sans restriction à adhérer à ces modèles fermés qui sont en train de s’installer. En achetant un terminal particulier, on achète aussi un aller simple pour une librairie en ligne. Et on se retrouve obligé d’y effectuer tous ses achats de livres numériques. Tant pis si certains des titres qui nous intéressent n’y figurent pas. Tant pis si l’on aimait bien aussi la façon dont l’offre était présentée dans d’autres e-librairies.

La guerre des prix des liseuses, c’est la face visible des luttes qui se livrent pour capturer un nouveau marché, et chacun tente de faire un sorte qu’il se structure à son avantage. La domination sans partage d’Amazon a pris fin. Des outsiders sont apparus. Comment l’arrivée prochaine d’un tout petit acteur, une start-up Californienne – Goodle, ou Google, un nom comme ça – qui a des projets concrets au sujet du livre numérique, et que les spécialistes commencent à suivre de près va-t-elle venir bouleverser encore un peu plus ce tableau plutôt chaotique ?

Voilà des questions dont nous pourrons discuter, parmi bien d’autres, à l’occasion du prochain Bookcamp, prévu le 25 septembre prochain. Hubert Guillaud nous demandait ce matin : alors on le lance ce Bookcamp ? Oui, j’ai répondu tout de suite, on a plutôt intérêt à être nombreux pour réfléchir à toutes ces questions, échanger nos expériences, idées, visions, interrogations. Pour participer, dès maintenant, connectez-vous sur le site du Bookcamp.

Publié dans hors ligne, la vie numérique | Laisser un commentaire

Des orages sémantiques

Rencontré une nouvelle métaphore météorologique qui me plaît beaucoup dans le billet de Christian Fauré intitulé « les enjeux d’une bibliothèque sur le web » , où il nous parle d’orages sémantiques.

« Concernant les bibliothèques, ma proposition sera donc la suivante : il faut développer les «orages sémantiques». Par cette expression on entend l’ensemble des discussions, polémiques, argumentations autour d’une ressource (auteur, oeuvre, thème, etc.). Dans cette perspective, il faut considérer que chaque ressource disponible en ligne est un paratonnerre dont le but est de capter les polémiques et les discussions dont elle fait l’objet »

Avec cette approche, l’activité de catalogage s’étend au-delà du catalogage des oeuvres puisqu’il couvre le catalogage des débats autour des ressources sur le web. Grâce à ce catalogage des «orages sémantiques», une bibliothèque peut commencer à fournir de nouveaux services, comme par exemple une sorte de «Zeitgeist», un esprit du temps. »

Des ressources en ligne fonctionnant comme des paratonnerres… Bien sûr ! En lisant le billet de Christian, je réalise que nombre des observations qu’il fait, et qui concernent les bibliothèques, peuvent également s’appliquer aux éditeurs… Je suis d’accord avec Christian sur l’idée qu’éditeurs et bibliothécaires auraient beaucoup à gagner à mieux réfléchir et agir ensemble, à affiner leur compréhension du web et de ce qui peut s’y inventer. Dans ma veille et ma réflexion, je suis amenée à suivre, via mon agrégateur ou mon fil twitter nombre de bibliothécaires, dont j’apprends beaucoup. Nous sommes nombreux à penser qu’à l »ère du web, le concept de « chaîne du livre » est devenu inopérant, et fait place à celui de réseau. Et que notre représentation spontannée de ce qu’est un site web, vu comme un espace clos disposant d’un contenu propre, sorte d’ilôt sur le web où il conviendrait de chercher à attirer le plus de visiteurs possibles, doit être dépassée. Parce que la force d’un réseau ce n’est pas la puissance de chacun de ses nŒuds, mais bien la puissance des liens entre ces nŒuds, ce qui circule en permanence à travers le réseau, et qui crée du sens. L’image de l’orage sémantique et du paratonnerre aide à se représenter le potentiel énorme de cette circulation nerveuse des informations, et la manière dont elles peuvent être agrégées, mises en forme, traitées pour produire du sens.

Comme les bibliothécaires, les éditeurs, de plus en plus, devront intégrer cette vision à leur pratique, apporter le plus grand soin à la production et à l’exposition des métadonnées, et faire en sorte à la fois de repérer, d’alimenter, animer et agréger les conversations dont les livres qu’ils publient sont l’objet.

Je le dis chaque fois que je peux : le « virage numérique » de l’édition n’a de sens que pris dans un changement bien plus radical et profond, dont nous ne prenons la mesure que très progressivement. Celui apporté par les potentialités du web, que nous peinons à nous représenter correctement, car sa représentation est à bien des égards, pour qui n’est pas plongé au quotidien dans ses méandres, contre-intuitive.

Des billets comme celui-ci ont le grand mérite de nous aider à mieux penser le web, ce qui s’y joue, ce que nous pouvons essayer d’y faire advenir, et le rôle actif et complémentaire que peuvent y jouer aussi bien les acteurs privés du monde de l’édition (auteurs inclus) que la puissance publique, via les bibliothèques.

Publié dans bibliothèques | Marqué avec , , , , | Laisser un commentaire

The Mongoliad : un monde fictif virtuel partagé massivement multi-lecteurs

mongoliad_w150Mardi 25 mai était dévoilée à San Francisco la version alpha du premier projet de Subutaï Corporation, une équipe qui regroupe des écrivains, des développeurs, des game-designers et des directeurs artistiques.

Il y a longtemps, depuis la lointaine époque du cédérom, que j’ai l’intuition que c’est via un rapprochement entre les auteurs de l’écrit et le monde du jeu (développeurs, game designers, directeurs artistiques, réalisateurs ) que s’inventeront probablement de nouvelles formes narratives sachant tirer parti des hybridations que les technologies informatiques autorisent, ce que l’on appelait dans les années 90 le multimédia interactif.

La composition de l’équipe de Subutaï Corporation en est l’illustration : les auteurs, issus de l’univers de la SF, de la mouvance post- cyberpunk, s’entourent de professionnels qui pourraient figurer dans un roman de Douglas Coupland, l’un architecte de plateformes de jeux massivement multijoueurs, l’autre spécialiste des textures, tous familiers de la 3D et de l’univers du jeu.

Voici comment Subutaï présente son projet, dans un mail adressé à ceux qui se sont inscrits pour la version alpha sur son site :

« Au centre du dispositif, une aventure médiévale contée par Neal Stephenson, Greg Bear, Nicole Gallan, Mark Teppo et d’autres auteurs renommés, qui se situe à une époque où l’Europe pensait que les hordes mongoles étaient sur le point de détruire son monde, et où une petite bande de mystiques et de combattants essaient de détourner le cours de l’histoire.

Nous avons travaillé de manière avec des artistes, des chorégraphes de combats et d’autres spécialistes des arts martiaux, des programmeurs, des réalisateurs, des game designers, et pas mal d’autres gens pour produire un flux constant de contenu non textuel, para et extra narratif, dont nous pensons qu’il donnera vie à l’histoire d’une manière inédite, et qui ne pourrait pas être envisagée sur un média unique.

Très prochainement, lorsque The Mongoliad contiendra une une masse suffisante de récits et de contenu, nous demanderons aux fans de nous rejoindre pour créer le reste du monde et créer de nouvelles histoires dans celui-ci. C’est là que débutera la partie réellement expérimentale du projet. Nous sommes en train de développer des technologies vraiment « cool » pour rendre cela facile et amusant, et nous espérons qu’un grand nombre d’entre vous les utiliseront.

Les gens pourront accéder à The Mongoliad sur le web et via des applcations pour mobile. Nous allons commencer avec l’iPad, l’iPhone, les terminaux sous Androïd, des applis Kindle, et nous ferons probablement plus encore dans un futur proche. »

Cory Doctorow signale le projet sur boing-boing en ces termes :

« Il y a déjà eu quelques expériences notables de mondes partagés en ligne, du vénérable alt.cyberpunk.chatsubo à l’actuel Shadow Unit. Mais on dirait vraiment que ces types de the Mongoliad sont sur le point de charger encore la barque, et de pousser le concept plus loin que personne d’autre auparavant, et qu’ils le font d’une manière que seul le web autorise, impossible à traduire sur le papier.

J’ai vu une démo de The Mongoliad l’autre soir et c’était vraiment très excitant. Il n’y a pas encore grand chose d’accessible au public pour le moment, mais je vous tiendrai au courant. »

Moi aussi, j’essaierai de vous tenir au courant.

(Via Peter Brantley )

Publié dans amazon, ebook, édition, édition électronique, hors ligne, la vie numérique, liseuses, manuel scolaire, TICE | Laisser un commentaire