édition numérique : un peu de sérieux

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Cesser d’être extraordinaire

Sur son blog, Donn Linn se réfère à une conversation qu’il vient d’avoir avec Laura Dawson ( ljndawson.com) et Brian O’Leary ( magellanmediapartners.com) après l’une des innombrables conférences sur l’édition numérique, ou le numérique et l’édition, ou bien le futur du livre à l’ère du numérique. Il cite Laura Dawson : « Quand allons-nous enfin pouvoir participer à des réunions de ce type et ne pas entendre à nouveau quelqu’un raconter fièrement comment il utilise un process de production basé sur XML, ou bien comment il met en place un système de Digital Asset Management, ou bien de quelle manière il fait en sorte que ses métadonnées soient correctement structurées, sans que cela soit perçu comme quelque chose d’inhabituel ou de remarquable ? »

Fatigue du consultant, expert d’un sujet, qui propage déjà depuis plusieurs années la bonne parole auprès de ses clients : « Si vous voulez être prêts pour les changements qui s’annoncent, il ne suffit pas de passer rapidement un contrat avec une start-up qui va vous fabriquer quelques applis iPhone sexy, que vous pourrez utiliser pour communiquer sur le fait que vous êtes un éditeur dans le coup, innovant, qui avance en marchant… Si vous voulez êtres prêts pour les changements qui s’annoncent, il ne suffit pas d’ouvrir un compte Twitter et de tenter de faire du buzz sur vos nouveautés, ni de moderniser votre site web, ni de spéculer sur ce que ce sera LE terminal gagnant, liseuse ou tablette, ou LE modèle économique dominant, téléchargement ou accès. Il ne suffira pas non de plus trouver le sous-traitant qui produira le moins cher possible le maximum de titres dans les formats qui vont bien. »

Le pas que Laura Dawson aimerait que les éditeurs aient tous déjà fait aujourd’hui, de sorte que l’annoncer comme extraordinaire n’aurait plus aucun sens, c’est simplement d’intégrer au cŒur de leur métier, ce qui rend possible la publication numérique de leurs titres, sous le plus grand nombre de formes possibles, et la « découvrabilité » de ces titres, quel que soit le choix des lecteurs en ce qui concerne leur terminal de lecture , et quel que soit le mode de commercialisation choisi pour ces titres.

Un process de production basé sur XML, c’est la première chose qu’elle évoque spontanément. Je ne vais pas réexpliquer ce que c’est, rappeler seulement qu’il s’agit de repenser la chaîne de production du livre, en tenant pour acquis que plus on anticipe en amont sur la possibilité qu’un projet éditorial sera susceptible d’être publié sous différentes formes, en proposant aux différents intervenants des outils conviviaux permettant de séparer la forme et le contenu, de produire le plus tôt possible des métadonnées permettant d’isoler et d’identifier les différents fragments qui composent un livre, plus on ouvre l’avenir du livre en question, (livre pris ici au sens d’Œuvre), lui permettant tout à la fois de devenir un livre imprimé, un livre numérique dans un format X ou Y, une application, ou d’alimenter une base de données qui elle-même permet de construire un service en ligne.

Le second élément dont Laura déplore qu’il demeure aujourd’hui quelque chose que l’on mentionne comme un effort remarquable, c’est le fait pour une maison d’édition de se doter d’un DAM, ou Digital Asset Management system. C’est déjà le cas pour quelques groupes d’édition, mais c’est encore loin d’être le cas général. L’idée est simple, celle de rassembler sur un serveur central auquel peuvent accéder tous les utilisateurs qui ont besoin de le faire, selon un système d’autorisations paramétrable, l’ensemble des éléments numériques qui concourent à la fabrication d’un projet éditorial : texte, images, couvertures, PDF imprimeur, versions numériques dans différents formats. Un système d’archivage centralisé, qui ne se contente pas de stocker la version définitive du livre assemblé, mais aussi tous les éléments qui le composent, dans les différents formats. Pensez à votre propre disque dur, et aux soucis que vous vous créez à vous-mêmes lorsque vous manquez parfois de rigueur dans le nommage ou le classement de vos fichiers, pensez à vos hésitations (est-ce bien la version définitive ? qu’ai-je fait de la version précédente ? D’où sort cette image, est-ce que je l’ai quelque part dans une meilleure définition ? ) et multipliez cela par le nombre d’intervenants des différents projets qui occupent une maison d’édition qui publie plusieurs dizaines de titres chaque année. La mise en place d’un DAM nécessite un accompagnement important afin que les utilisateurs comprennent son utilité et acceptent de se plier aux procédures qu’il faut nécessairement respecter pour qu’il soit convenablement alimenté. C’est un projet structurant, mais qui permet une bien meilleure maîtrise de ce qui fait toute la richesse d’une maison d’édition : les livres qu’elle est en train de publier, et ceux qu’elle a déjà publiés. La seconde vie d’un livre déjà publié est infiniment plus facile à envisager, ou l’utilisation d’éléments de ce livre pour créer un nouveau projet, si l’ensemble des éléments qui le composent est accessible en quelques clics. Et la publication des nouveautés s’en trouve également facilitée, le DAM permettant des échanges réglés entre les différents intervenants qui contribuent à la publication, internes ou externes.

Troisième exemple cité par Laura Dawson, les métadonnées. Oui, Laura aimerait bien que le fait d’accorder la plus grande importance aux métadonnées de ses livres, à la manière dont elles sont structurées, ne figure plus jamais dans le programme d’une conférence sur le livre numérique. Elle rêve que cela soit fait, naturellement, que tous les éditeurs aient compris que sans métadonnées convenablement renseignées et structurées, le livre qu’ils publient peut être fantastique, leurs efforts pour le promouvoir exceptionnel, ce livre n’a que très peu de chances d’acquérir et encore moins de conserver de la visibilité sur le web, ratant définitivement et irrémédiablement l’attention de ses lecteurs potentiels, ceux d’aujourd’hui ou de demain.

Mettre en place un processus de production permettant de structurer les projets éditoriaux le plus en amont possible, disposer d’une gestion centralisée de l’ensemble des fichiers qui entrent dans la composition des ouvrages, accorder le plus grand soin à la qualité de ses métadonnées : cela devrait être banal. On ne devrait plus s’en étonner. Cela n’a rien de très excitant à priori, c’est du travail qui se fait ici et là, silencieusement, avec l’implication de nombreux acteurs, ceux qui consentent les investissements nécessaires, ceux qui étudient et choisissent les solutions techniques, ceux qui mettent en place et développent, ceux qui accompagnent le déploiement, et enfin ceux, les plus nombreux, qui acceptent les changements dans leur manière de travailler.

Cela n’a rien de séduisant, cela ne fait pas la une des hebdos, cela ne rameute pas les foules, cela ne prête pas à la controverse, c’est juste du travail qui doit être fait. Pour être prêts. Pour qu’on n’en parle plus dans les conférences.

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Invités d’honneur

untitled-0-00-02-13Cette année, la France est l’invité d’honneur de la foire du livre de Séoul, et le BIEF (Bureau International de l’Edition Française) m’a demandé de participer aux journées professionnelles organisées à cette occasion.

J’ai donc fait le déplacement, pour intervenir au sujet des enjeux du numérique dans l’édition, en duo avec un représentant de l’Association des Publications Numériques de Corée, M. Chang Di Young. Bien qu’il m’arrive de plus en plus souvent de me livrer à cet exercice, je m’y prépare toujours avec le même soin, retouchant mes slides jusqu’à la dernière minute, soucieuse de présenter le plus clairement possible la manière dont les éditeurs français abordent les questions touchant au numérique, les défis auxquels ils sont confrontés, et les changements que cela implique dans leur manière de travailler.

Dans le salon lui-même, une petite allée de stands montrant des liseuses, dont la liseuse Samsung. Je discute un moment avec un représentant de IN3tech, ( InCube Technologies), un prestataire proposant aux éditeurs ses services pour la numérisation et l’intégration de leur catalogue dans la librairie que Samsung met en place pour ses smartphones et sa nouvelle liseuse. Comme nous échangeons nos cartes (à la manière coréenne : tenir la carte à deux mains et s’incliner légèrement), il voit le nom du groupe qui m’emploie et tilte immédiatement, me parlant de vidéo, de YouTube, et je comprends qu’il a vu le film  » Possible ou Probable » réalisé par Editis il y a quelques années. Il appelle ses collègues pour leur montrer le logo sur ma carte, et tous me font part de leur enthousiasme pour ce film, et je suis obligée malheureusement de leur dire qu’il a été réalisé avant que je n’arrive dans le groupe, et oui, je ne peux m’attribuer aucun mérite à propos de ce film que Bob Stein, plusieurs années après sa sortie, avait signalé à nouveau, lui redonnant visibilité.

J’assiste également à l’intervention d’Hugues Jallon, Directeur Editorial de La Découverte, qui fait une très belle synthèse sur l’édition de Sciences Humaines, abordant la question de manière thématique et en citant et resituant de nombreux titres et auteurs, dans le champ économique, dans celui du politique et celui de l’environnement. Auprès de lui, deux éditeurs de Sciences Humaines coréens, deux éditeurs véritables, passionnés, qui dirigent des petites maisons d’édition, expliquent l’extrême difficulté qu’il y a à trouver des traducteurs français-coréen capables de traduire de la philosophie ou de la sociologie de haut niveau. Il racontent aussi, de manière assez drôle, leurs difficultés à trouver des soutiens financiers, expliquant que lorsqu’ils essaient d’intéresser des industriels (ils citent l’exemple de Hyundaï, qui sponsorisent sans problème à coup de milliards- en won, le milliard est assez vite atteint, c’est environ 8750 euros – des clubs de sport, mais refusent ne serait-ce que de recevoir ou regarder leurs livres… Il n’est pas facile, donc, de faire circuler la pensée française, mais certains s’y emploient avec une énergie et une passion qui font plaisir à voir, sans se décourager, ne se résignant pas à ce que les Coréens pensent que rien ne s’est passé chez nous depuis le structuralisme et les auteurs de la « French Theory ».

Très peu de temps pour découvrir la ville, même en se levant très tôt (facile avec le décalage horaire…). Retrouvé Hugues Jallon ce matin pour prendre le métro à la première heure. Nous quittons le quartier où a lieu la foire, quartier récent dédié au business, grandes avenues bordées de tours, mais dont les rues transversales révèlent des surprises : vous tournez au coin de la rue et l’échelle change brutalement, un fouillis de petites constructions, des restaurants bon marché, une ambiance très différente de celle de l’avenue qui n’est qu’à vingt mètres.

Nous avons ensuite marché plus de trois heures, le plan à la main, nous repérant grâce aux bâtiments, et réussi à trouver notre chemin jusqu’au palais Deoksugung, l’un de ces lieux qui permettent d’éprouver un sentiment d’architecture, cette émotion particulière et rare que l’on éprouve en voyant certains bâtiments, sans pouvoir toujours analyser d’où il provient : l’échelle ? le rapport entre les vides et les pleins ? la disposition des bâtiments, les couleurs, les matériaux ?

Il faudrait bien plus de temps, évidemment, pour se faire une idée de cette ville immense, et tel n’est pas, bien sûr l’objet de notre voyage. Il prend fin, d’ailleurs, et demain, onze heures d’avion m’attendent, et n’oublie pas, mon chéri, de venir me chercher à l’aéroport (c’est un test, pour savoir si oui ou non mon amoureux lit mon blog comme il le prétend…)

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Réviser sa géographie

Comme je twittais en direct depuis la table ronde à laquelle je participais aujourd’hui à Tallinn, en Estonie, à l’occasion de la foire du livre Balte, Christine Génin, qui anime l’excellent blog lignes de fuite, indiquait sur Twitter qu’elle avait du chercher sur Google pour localiser précisément Tallinn sur la carte. Et moi de la rassurer, en disant que j’étais #nulleengeomoiaussi, et que j’avais du faire de même en recevant l’invitation.

Arrivée hier soir dans cette ville, au bord de la mer Baltique, à 2h30 de ferry de la Finlande, et à 400km de St Petersbourg. Ce matin, une table ronde (en trois sessions successives ) réunissait des intervenants estoniens, lettons, allemands et français, l’événement ayant été porté conjointement par les représentations allemandes et françaises à Tallinn.

J’ai retrouvé ici Samuel Petit et Denis Lefebvre, d’Actialuna (devenu Sequencity), déjà croisés dans des bookcamps et à des réunions organisées par Cap Digital, ainsi qu’un professeur de lettres de Nancy, Blandine Hombourger, venue témoigner de son usage des manuels numériques et de l’ENT dans le collège où elle enseigne, qui utilise TBI et ordinateurs portables. Rémy Gimazane, du Ministère de la Culture, parlait du droit d’auteur et expliquait le projet français de numérisation des Œuvres épuisés, projet très proche de celui qui devrait se mettre en place en Allemagne, que nous présentait Jessica Sänger, juriste attachée au Bösenverein.

L’objectif était d’aborder différents aspects du numérique dans l’édition, ce qui explique la grande variété des intervenants, responsables de bibliothèques, spécialistes du droit d’auteur, représentants du monde de l’édition et de l’enseignement.

Curieusement, alors que l’Estonie est très en avance en ce qui concerne la généralisation de l’accès à internet et l’usage du web (ici, on peut voter en ligne ou via téléphone mobile), l’édition numérique en est encore à ses balbutiements. Alors qu’on trouve pratiquement partout, je l’ai vérifié dans chacun des lieux où je suis passée, une connexion wifi immédiate et graduite, à l’hôtel, au centre de conférence, mais aussi dans le premier café venu ou dans une librairie, certains services comme iTunes ne sont pas disponibles en Estonie. Une différence aussi, quand les estoniens évoquent les réseaux sociaux, ils mentionnent Facebook mais aussi Orkut, qui n’est pratiquement pas utilisé en France.

Denis Duclos,Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle et Directeur du Centre Culturel Français, qui a porté ce projet avec le Goethe Institut, nous a accueilli très chaleureusement, et a su nous communiquer son intérêt pour ce pays du bout de l’Europe, où se mêlent les influences russe, allemande et nordique. La langue estonienne, qu’il apprend, n’est pas une langue indo-européenne, mais une langue finno-ougrienne.

Il m’aura manqué 48h pour faire un saut à Helsinki, ou visiter le KUMU, le nouveau musée construit par l’architecte finlandais Pekka Vapaavuori. Les Finlandais sont nombreux à venir à Tallinn le week-end, pour y consommer de l’alcool, dont l’usage est moins réglementé ici qu’en Finlande, et fréquenter les spas dont le prix est moins élevé qu’à Helsinki.

J’ai affronté la tempête pour vous rapporter quelques images un peu tremblantes du vieux Tallinn, histoire de vous mettre dans l’ambiance. (Le vent fait un sale bruit dans le micro de ma petite caméra.)

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à propos de Craig Mod

Hubert Guillaud, sur La Feuille, attire notre attention sur cet article de Craig Mod, et j’ai envie moi aussi d’y faire écho ici. Pour mettre en avant d’autres remarques de Craig qui me semblent également pertinentes. Et pour partager avec vous une de ces petites découvertes que nous réserve parfois le web.

Craig Mod possède un iPad, et il est fort mécontent de la qualité de lecture que lui proposent les deux applications qu’il cite, iBooks et Kindle.app. Ce n’est pas le terminal qui est en jeu ici : il n’a rien à reprocher à la qualité de l’écran, ni au poids du iPad. Non, ce qui ne va pas, c’est ce qu’il a sous les yeux : des textes mal présentés, comme si le savoir faire en matière de mise en page avait été oublié, comme si, en abandonnant l’encre et le papier, on abandonnait aussi toute exigence en matière de traitement du texte écrit. Il déplore ce sur quoi beaucoup d’autres se pâment : la métaphore du livre à laquelle les développeurs du lecteur iBook se sont soigneusement attachés, cherchant à offrir une expérience qui simule le plus finement possible l’expérience de manipulation d’un ouvrage imprimé. Résultat, pour faire de la place à cette métaphore, une partie de l’écran ne sert qu’à abriter le graphisme imitant des pages empilées les unes sur les autres, imitant sans aucune autre raison que celle de rappeler ce qui a disparu, le relief du livre, la déclivité des pages enserrée dans la reliure, et jusqu’à cet effet, déjà vu sur le web sur de nombreux feuilleteurs, de la page qui s’enroule et se tourne, petite performance infographique qui en jette toujours, qui produit son effet la première fois qu’on la voit. Tous les efforts se sont concentrés sur la restitution de l’objet disparu (le kitsch qui en résulte est détaillé abondamment dans le billet des designers d’Information Architect’s inc intitulé  » Designing for iPad : Reality Check » ) et absolument pas sur la qualité de l’expérience de lecture, pas sur le texte, sur le détail de sa présentation, l’hyphénation, le traitement des veuves et des orphelines (termes parfaitement bien expliqués dans ce billet de Marc Autret.)

Hubert insiste également, au grand dam de ses premiers commentateurs, sur l’autre remarque de Craig Mod concernant l’absence d’exploitation par ces applications de lecture des métadonnées des livres. Même si, et on en a souvent discuté avec Hubert, je suis plutôt une lectrice solitaire, un brin sauvage, et que j’ai plus envie d’un tête à tête avec le texte que d’un accès aux traces de lecture des autres lecteurs, je conçois que ces fonctionnalités ont leur intérêt : pour certaines lectures, pour des lecteurs ne partageant pas ce désir d’intimité exclusive avec le texte qu’ils sont en train de lire.

Une certitude, l’informatisation de nos lectures autorise de nombreuses formes de suivi de celles-ci, de « pistage » pour traduire littéralement le terme « tracking », et ces données peuvent effectivement être partagées, de lecteur à lecteur. Elles intéressent également au plus au point tous ceux pour qui toute information précise sur nos habitudes est une matière première, celle qui permet à un marketing qui tente de segmenter de plus en plus finement le peuple des consommateurs de cibler précisément les acheteurs potentiels de tel ou tel produit. Certains vont jusqu’à imaginer que ces données (où s’arrêtent les lecteurs dans leur lecture, sur quelle page ont-ils buté, quel passage ont-ils sauté, quels retours en arrière ont-ils effectué…) puisse intervenir dans la fabrication des bestsellers, un peu comme ce qui s’observe à la télévision : si le spectateur n’est pas happé par l’action dans les trois premières minutes, il va zapper, si celle-ci se trouve ralentie, il va zapper, aussi l’écriture des scénari de série devient-elle toujours plus rapide, spectaculaire, au risque d’observer de véritables tics dans les figures narratives proposées aujourd’hui.

La disponibilité potentielle de ces données pose en premier lieu la question de la protection de la vie privée, car elles ont évidemment un intérêt commercial plus fort si elles ne sont pas anonymisées. Elle interroge aussi la nature des échanges culturels, le risque, à toujours se voir proposé ce qui est susceptible de nous plaire, d’enfermer petit à petit chaque lecteur dans une niche douillette correspondant à ses centres d’intérêt initiaux, et une difficulté à se confronter à l’inconnu, à s’exposer aux divines suprises, à accéder à ce qui est étranger, nouveau et souvent déconcertant au premier abord.

À propos de Craig Mod, j’ai retrouvé ailleurs sa trace sur le web : sur un site qui permet à des particuliers de financer des projets, nommé kickstarter. Le projet de Craig Mod est la réédition d’un ouvrage qu’il a coécrit avec Ashley Rawlings nommé « Art Space Tokyo », réédition sous forme imprimée et nouvelle édition sous forme numérique. Le principe du site est simple : chacun expose son projet, et indique la somme qu’il a besoin de réunir ainsi qu’une date butoir pour le démarrer. Les donateurs ne sont débités que si la somme plancher est atteinte à la date indiquée. Craig et ses associés avaient indiqué qu’ils avaient besoin de 15 000$ avant le 1er mai, la somme est déjà dépassée de plus de 4000$, aussi verrons-nous bientôt ce « Art Space Tokyo », et pourrons-nous tester sa version iPad, qui, nous dit Craig, devrait mettre en pratique ses observations concernant la lecture sur iPad.

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Encore le Cloud…

bleuQuel dommage de parler de « clouds » en ce beau premier week-end vraiment printanier… Mais je n’ai pas le choix. suite à une intervention que j’avais faite au TOC de Francfort en octobre dernier, on m’a demandé de participer, lors de la prochaine foire du livre de Londres, à une table ronde sur le thème « Clouds : What are They Really About, and What is Their Impact on Publishers? »

Bonne occasion pour sortir mon blog de sa léthargie, et essayer de faire ce à quoi sert un blog : réfléchir tout haut, réfléchir avec vous, ouvrir la boîte, et m’aider de votre possible lecture pour avancer dans la préparation de cette table ronde.

Je suis loin d’être une spécialiste de la question, et c’est pour ça que ça m’intéresse… Les premières explications concernant le cloud computing, c’est au théâtre de la Colline, lors d’une conférence donnée dans le cadre d’Ars Industrialis que je les ai trouvées. J’ai approfondi cette affaire en lisant le livre co-écrit par Christian , Alain Giffard et Bernard Stiegler, intitulé  » Pour en finir avec la mécroissance« .

A Francfort, je me suis demandé ce que pourrait bien devenir l’industrie du livre, si on se mettait à la définir non plus comme « produisant » des livres, mais comme proposant des services, en détournant l’un des sigles qui déclinent ceux que le cloud computing propose : « PAAS = Publishing As A Service ».

J’avais bien conscience, dans cette présentation, de jouer un peu sur les mots, en considérant comme « dans les nuages », toute l’activité qui entoure le livre et qui se situe en ligne. En effet, il ne suffit pas qu’un service soit proposé en ligne pour qu’il relève précisément du « cloud computing », ou alors, on enlève à ce concept sa véritable substance, considérant chaque serveur comme un petit nuage… Non, lorsque l’on parle de « cloud computing », on parle non pas de serveurs dispersés et gérés de façon autonome, tous reliés par internet. On parle de gigantesque installations industrielles, contenant des centaines de milliers de serveurs, offrant d’énormes capacités de stockage et de calcul. On parle aussi « virtualisation », et là, je cite Christian Fauré :

La virtualisation est un procédé qui consiste à dé-corréler la vision physique de la vision logique des infrastructures de machines. On peut ainsi avoir une seule machine physique qui est considérée comme étant une multiplicité de machines logiques. Bien que la technologie de virtualisation ne soit pas toute récente, Amazon a relevé le défi non seulement de la mettre en place sur de très grandes quantités de machines, mais en plus d’automatiser l’allocation
de ses ressources logiques, permettant ainsi à tout internaute de mettre en place un serveur virtuel, en ligne et sans intermédiaire. Nombre de jeunes sociétés web s’appuient aujourd’hui sur les infrastructures d’Amazon pour disposer d’une puissance de calcul et de stockage « à la demande » et élastique, précisément pour ne pas s’effondrer en cas d’augmentation des consultations sur leur site. »

La complexité et le gigantisme de ces installations industrielles, mises en place par des acteurs dont on imagine que, parce qu’ils opèrent sur le web, ils ne brassent que du virtuel, de l’immatériel, a été un réelle découverte. D’ailleurs, l’idée très bien implantée qui consiste à considérer que « du moment que ça passe par Internet, cela ne coûte rien, c’est virtuel, ce sont des « bits », pas des atomes, alors n’allez pas nous faire croire que cela coûte cher » s’appuie sur cette vision naïve d’une société de la connaissance qui serait post-industrielle, brassant uniquement de la matière grise à l’aide d’impulsions électroniques sans presque aucune inscription dans la matière. Amazon, Google, Microsoft, IBM, Apple, possèdent de telles installations, et continuent d’en construire. Où croyez-vous que sont stockés vos photos sur Flickr, vos vidéos sur YouTube, vos messages sur Twitter, vos publications sur Facebook, et vos billets de blog ?

Alors, l’édition dans les nuages ? Ce que j’avais eu envie de mettre en avant à Francfort, c’est le fait que le livre n’avait pas besoin d’être numérique pour avoir quelque chose à voir avec le cloud. Que déjà, alors que le livre numérique en France en est encore à ses balbutiements, le monde des livres avait déjà en partie migré sur le web, et probablement « dans les nuages » aussi. Que déjà, le concept de « chaîne du livre » était devenu inopérant, et cédait la place à quelque chose qui ressemblait bien plus à un réseau, dont bien des nŒuds, déjà, étaient dépendants du cloud computing. Notre bouquinosphère, par exemple, mais aussi le web littéraire, avec lequel elle a des intersections. Auteurs-blogueurs, pro-am de la critique littéraire, certains libraires et éditeurs, tous utilisent des services et des plateformes qui bien souvent s’appuient sur ces infrastructures « dans le nuage ».

Du côté des éditeurs, les exemples de nouvelles offres éditoriales tout à fait susceptibles d’utiliser le cloud computing se multiplient également. Les sites proposant du « pick and mix », offrant la possibilité aux utilisateurs de composer eux-mêmes le livre qu’ils pourront ensuite consulter en ligne, télécharger ou imprimer à la demande se sont multipliés. Construits autour de thématiques comme la cuisine, ou bien édition scolaire et universitaire, ces sites s’appuient sur des plateformes permettant d’identifier et de sélectionner des éléments de contenu, textes et images, de les choisir et des les assembler. La plupart proposent aux utilisateurs de créer des ouvrages qui pourront mixer des contenus éditoriaux prééxistants et des contenus créés par l’utilisateur.

La vision de Bob Stein, celle d’une lecture connectée, communautaire, collective, de textes disponibles en ligne et accompagnés de dispositifs permettant annotation et échanges entre lecteurs, s’appuie également sur un concept de plateforme en ligne, offrant à la fois l’accès à un contenu et l’accès à des services qui vont au-delà du simple affichage du texte.

En vérité, chacun des services cités n’était pas nécessairement situé dans les nuages, au sens strict du terme. Susan Danzinger, la fondatrice de Daily-Lit, que j’avais questionnée à ce sujet m’avait répondu que l’offre qu’elle propose n’utilise pas le cloud computing, pour la raison simple que ces solutions ne permettaient pas de gérer comme elle le souhaitait les envois de mail, et que le service qu’elle propose (envoi à la demande d’un livre numérique sous forme d’extraits successifs, adressés soit par mail, soit vers un agrégateur de fils RSS) exigeait cela.

La grande idée du cloud, pour la résumer très sommairement, c’est de demander aux dirigeants d’entreprise : de quoi avez-vous besoin ? de salles informatiques bourrées de serveurs pour héberger les applications que les salariés de votre entreprise utilisent ? ou bien que ceux-ci accèdent simplement à ces applications pour les utiliser ? Pourquoi vous embêter avec le stockage, l’installation, la maintenance, la mise à jour, le dimensionnement ? Nous pouvons faire tout cela pour vous. Vous n’avez pas besoin d’acquérir des licences et d’installer des logiciels. Vous avez besoin des services que ces logiciels vous rendent.

À quoi bon être propriétaire ? À quoi bon vous embêter à entretenir votre bien, à réparer la toiture, à changer la plomberie, à refaire les peintures ? Avez-vous vraiment besoin de cela ? Ou bien plutôt d’un toit pour vous abriter, et que quelqu’un s’occupe pour vous de faire en sorte que ce toit ne prenne pas l’eau, ou vous propose une pièce supplémentaire le jour où la famille s’agrandit…

L’édition dans les nuages, selon Google, c’est Google Recherche de Livres, mais aussi Google Editions : à quoi bon télécharger vos livres ? Laissez-les sur le nuage. A quoi bon les stocker sur votre disque dur, à la merci d’un plantage ? Votre bibliothèque entière sera dans le nuage, disponible en quelques clics (ou en quelques caresses sur l’écran de votre iPad…). Vous vous y faites très bien en ce qui concerne vos mails, utilisateurs de Gmail, Yahoo ou Hotmail… Est-ce que cela vous dérange vraiment de ne pas stocker vos mails sur votre disque dur ?

L’édition dans les nuages, selon Amazon, c’est ce livre que vous commencez à lire sur votre Kindle, et dont vous poursuivez la lecture sur votre iPhone, où il s’ouvre directement à la bonne page… La synchronisation se fait via le nuage d’Amazon, qui stocke et traque vos lectures. Mais c’est aussi ce livre que vous aviez acheté, et qu’Amazon efface de la mémoire de votre Kindle sans vous demander votre avis…

Olivier Ertzscheid, nous met en garde :

« Pourtant, et maintenant que les grands acteurs du web sont bien positionnés dans les nuages, maintenant que chacun d’entre nous, particulier ou institution/entreprise dispose quotidiennement de ces services le plus souvent dans la plus parfaite transparence/ignorance, maintenant qu’au-delà des seuls accès ce sont également nos pratiques, nos médiations, qui prennent place dans la distance offerte par ces nuages, il est temps de sortir de l’imaginaire cotonneux dans lequel nous entraîne et que co-construit le vocable même « d’informatique dans les nuages ».

Sortir de l’imaginaire cotonneux, certes, et demeurer vigilant. Remplacer cet imaginaire cotonneux par une connaissance suffisante de ce que recouvre cette terminologie séduisante, une réflexion nourrie sur les conséquences des basculements qui s’effectuent déjà, pour autoriser des prises de décision qui ne se basent ni sur des peurs fantasmatiques ni sur des enthousiasmes naïfs.

Une maison d’édition est susceptible d’avoir affaire au « cloud computing » à plus d’un titre :

– en tant qu’entreprise, elle peut faire le choix d’offres « XAAS » pour son informatique de gestion.

– elle peut également développer de nouvelles offres éditoriales impliquant l’utilisation de services basés sur le « cloud », ce qui l’engage à repenser et transformer ses processus de production, comme l’ont fait les premiers les éditeurs scientifiques comme Elsevier, en partenariat avec MarkLogic.

– elle s’inscrit, je l’évoque déjà plus haut, dans un écosystème qui utilise déjà largement des services basés sur le cloud computing, qu’il s’agisse de repérer des auteurs ou de promouvoir ses titres : l’usage des réseaux sociaux, tous adossés à des solutions « cloud », se développe considérablement.

Enfin, et c’est peut-être là le point le plus important, l’éditeur, qui n’existerait pas sans ses lecteurs, se doit de s’interroger sur l’impact du « cloud computing » sur la lecture elle-même, et sur la définition de la lecture numérique à l’ère des lectures industrielles, objet des recherches d’Alain Giffard, récemment invité des assises professionnelles du livre organisées par la commission numérique du SNE.

J’ai filmé avec ma petite flip caméra, en tremblotant un peu, un petit moment de cette intervention, qui n’est pas sans rapport avec ce dont il est question ici, le voici :

Que ferons-nous des nos livres, en effet, s’ils s’en vont sur les nuages, et que ne parvient pas à s’inventer un art de la lecture numérique ? J’arrête ce billet, plus que je ne le termine, tant les questions sont loin d’être toutes abordées et traitées, en citant Alain Giffard :

« Les faiblesses des robots de lecture permettent d’établir ce point que je crois décisif : le dispositif actuel de lecture numérique suppose un lecteur doté à la fois d’une grande responsabilité et d’une grande compétence. Il est responsable non seulement de l’établissement du texte pour la lecture, mais aussi de la technologie, de sa propre formation, et de sa participation au réseau des lecteurs. Il ne confond pas pré-lecture et lecture, «hyper-attention» et attention soutenue, lecture d’information et lecture d’étude, acte de lecture et exercice de lecture. Il sait identifier et rectifier le travail des robots. Même l’industrie de lecture reconnaît que son activité suppose un tel lecteur. Pour se défendre à propos des erreurs relevées dans les moteurs de Google Books, les dirigeants de Google soutiennent que l’ampleur du texte numérique impose l’automatisation avec sa part d’erreur machinique inévitable et donc l’activité de correction des internautes. Autrement dit, à l’inlassable industrie de lecture du robot doit correspondre l’interminable activité de rectification du lecteur compétent. »

Je ne suis pas un robot, mais je fais appel aux lecteurs compétents que vous êtes, pour apporter corrections et rectifications à ce billet…

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controverse du grille-pain, suite…

Ceux qui suivent depuis longtemps ce blog et quelques autres, inscrits dans la  » bouquinosphère« , se souviennent peut-être de la  » controverse du grille-pain« … le nom que, par plaisanterie, nous avions donné à une discussion récurrente que je pourrais résumer ainsi : Existe-t-il un avenir pour les liseuses, instruments dédiés à un usage spécifique et circonscrit, la lecture immersive de textes, assez proche de l’usage d’un livre imprimé, face aux terminaux multi-fonctions permettant l’interactivité, reliés en permanence à internet, affichant du texte, mais également les liens hypertextes, des images en couleur, des animations, des vidéos, et rapprochant lecture et écriture ?

Nous somme à quelques petites semaines de la sortie du iPad d’Apple, qui n’est pas le seul modèle de tablette, et qui sera certainement suivi de la mise en vente d’autres modèles, que ce soit celui de Microsoft, ou celui, qui n’a fait l’objet d’aucune véritable annonce mais sur lequel on peut raisonnablement compter, de Google.

Aussi fruste soit-elle, c’est bien la liseuse, objet assez peu sexy, en noir et blanc, à l’ergonomie sommaire, au design incertain, dont l’écran e-paper a l’avantage de ne pas fatiguer les yeux lorsque l’on s’attarde longuement sur un texte, mais l’inconvénient de sembler à première vue plutôt terne et austère, qui a fait l’objet d’une adoption rapide aux USA, avec la mise en vente du Kindle, et a abouti à ce chiffre encore modeste mais déjà significatif de 3% de chiffre d’affaires pour l’édition réalisé grâce à la vente de livres numériques.

Je note au passage avec une petite fierté, que le terme liseuse, que j’ai proposé pour désigner ce type de lecteur, à l’époque dans une discussion sur le site de Bruno Rives, et qui n’a pas fait, loin de là, l’unanimité pendant une longue période, tend à se généraliser. Bruno Racine l’emploie dans le livre qu’il vient de faire paraître, il figurait dans deux récents articles du Monde. Je sais qu’Aldus ne l’aime pas, mais le terme fait son chemin… Mon mari me gronde régulièrement de n’avoir pas déposé immédiatement le nom de domaine correspondant, (liseuse.com et liseuse.fr sont maintenant réservés), mais qu’en aurais-je fait ? Je ne suis ni fabricante de matériel, ni créatrice d’un logiciel, et d’avoir proposé un nom commun facilitant la désignation d’un objet ne me rapportera rien d’autre qu’un petit plaisir à chaque fois que je le vois employé… les petits plaisirs sont sans prix.

Les usages des livres sont multiples. Il existe un grand nombre d’objets particuliers qui n’ont entre eux rien de commun, sinon le fait d’être rangés dans cette catégorie « livre » uniquement parce qu’ils sont imprimés sur des feuilles reliées entre elles. Comment imaginer que ces objets pourraient, une fois numérisés, être utilisés sur des terminaux de lecture ou de consultation identiques ?

Lorsque disparaît ce point commun (impression sur des pages reliées entre elles), parce que ces objets deviennent des objets numériques, il est évident que s’ouvrent à eux des « destins numériques » distincts les uns des autres. Les usages sont alors repensés. De nouveaux usages apparaissent. Les frontières bougent. Le paysage se recompose.

On part de ce que l’on connaît, c’est vrai pour les lecteurs comme pour les éditeurs, les auteurs, les libraires. On part des livres, de tous les livres. Et puis on va vers ce que l’on découvre, vers ce que l’on apprend. On va vers d’autres formes, on entre dans une autre logique : les fichiers, manipulables, qu’il est possible d’agréger ou de fractionner, auquel on peut associer d’autres fichiers, vidéo, son, animation, programmes interactifs. Les fichiers, si légers et fragiles. On apprend à les créer, à leur donner forme, à les contrôler, à les stocker, à les décrire, à les distribuer. On se familiarise avec un vocabulaire nouveau, où les acronymes sont légion : pdf, epub, drm, onix, xml, dtd, api…

D’autres font le chemin inverse. S’ils ont grandi comme nous dans un monde où le savoir se trouvait essentiellement dans les livres, ils se sont vite retrouvés rivés à leurs écrans, leurs doigts galopant sur des claviers. Je ne parle pas des « digital natives ». Non, je parle des fondateurs d’Amazon, Google, Apple. D’entreprises dont la plus vieille n’a pas 35 ans, bien différentes les unes des autres, toutes les trois indissociables aujourd’hui des nouvelles technologies et du web, et qui s’intéressent au livre, chacune d’une façon bien spécifique.

Eux aussi sont partis d’où ils se trouvaient. Leur langue maternelle est celle que nous apprenons péniblement. Nous peinons à nous représenter clairement ce qu’est une base de données. La maîtrise des bases de données est au cŒur de leur activité. Eux aussi, s’approchant du livre, ont à comprendre ce qui nous est familier. Les règles du droit d’auteur, certes, pour l’un d’entre eux en tout cas, mais aussi les subtilités dans l’art de décrire et cataloguer les livres, le fait que dans certains pays, le livre n’est pas une marchandise comme les autres et fait l’objet de protections particulières, l’attachement à des notions comme la diversité culturelle, la pluralité de l’offre, le maintien d’un réseau dense de librairies physiques sur notre territoire.

Je m’éloigne un peu de la « controverse du grille pain », mais pas tout à fait… Les objets techniques qui nous sont proposés aujourd’hui pour accéder aux textes numériques le sont par ces acteurs, et nous racontent leur vision du livre et de la lecture. Celui d’entre eux qui s’est construit autour du commerce en ligne des livres imprimés, est, on ne s’en étonnera pas, celui qui vient le moins bousculer la vision traditionnelle du livre. C’est la liseuse, qui essaie d’offrir une expérience de lecture comparable à celle offerte par un livre. Elle est connectable, bien sûr, mais à une seule librairie, évidemment. Et si les livres numériques de chaque utilisateur sont bel et bien stockés dans le « nuage » d’Amazon, le fichier est proposé en téléchargement, l’utilisateur se voit proposé une expérience de choix de livre, d’achat, de téléchargement, de stockage, qui est une transposition numérique – plutôt réussie, le Kindle est un succès – de sa relation aux livres physiques.

Le livre vu par Google est bien différent. Que fait Google ? Ses robots scrutent et indexent le web en permanence, alimentant son moteur de recherche, afin de fournir les réponses les plus pertinentes aux utlisateurs à la recherche d’une information, quelle qu’elle soit. Scruter le web, c’était déjà beaucoup. Mais scruter le web ET le plus grand nombre de livres possibles… c’était l’objectif du projet Google Book Search. Le livre, pour Google, c’est un immense territoire supplémentaire sur lequel lâcher ses robots, l’opportunité d’offrir en réponse à des requêtes, non seulement des sites web mais aussi des livres, en extraits ou dans leur totalité suivant leur statut juridique. Même si l’on s’attend à ce que Google propose dans les mois qui viennent un terminal, probablement une tablette, le premier outil de lecture proposé par Google c’est n’importe quel terminal permettant d’utiliser un navigateur web, le PC principalement, et les mobiles, de plus en plus. Le web, c’est la terre natale de Google. Le projet Google Editions repose sur l’idée que le meilleur endroit qui soit pour conserver vos livres numériques, ce n’est pas votre disque dur, mais bien le « cloud », le serveur perdu quelque part dans l’un des nombreux data-centers construits par Google aux quatre coins du monde, auquel vous accédez en permanence, et dans lequel le risque que vos livres soient malencontreusement perdus ou effacés est bien moindre que si vous les confiez à un disque dur fragile, jamais à l’abri d’une mauvaise manipulation ou d’une panne.

Et Apple, donc, avec le fameux iPad ? Parlons du iPhone, avant, qui est devenu, à la surprise de beaucoup, un support de lecture pour nombre de ses utilisateurs. Mais jusqu’à présent, les livres numériques sur l’iPhone se trouvaient dans une situation de « découvrabilité » assez difficile. Pour les applications tout-en-un (lorsque le livre est une application autonome, contenant dans un même fichier application permettant la lecture et le contenu du livre lui-même), le « magasin » était l’appStore, où il se trouvait en concurrence avec quantité d’autres applications de tout type. Le terminal, malgré sa taille réduite, a déjà permis à des sociétés innovantes de proposer des « livres augmentés » de grande qualité : augmentés de quoi ? De la possibilité de basculer à tout moment du mode lecture au mode audio, de l’ajout de vidéos, de possibilités de recherche. Mais l’iPhone permet également de télécharger des applicatifs de lecture spécifiques (Stanza, l’appli Kindle et quelques autres), qui permettent d’accéder ensuite à un catalogue de livres numériques sans devoir retourner dans l’appStore. Rien de tout à fait équivalent à l’expérience proposée par Apple pour l’achat de musique en ligne avec iTunes.

C’est sur l’iPad qu’Apple va lancer cela : ce sera l’ iBooks store. Quelle vision du livre nous propose l’iPad, (enfin ce que l’on a pu voir et lire à son sujet, parce que peu de gens aujourd’hui l’ont eu en main) ?
Probablement pas une vision unique, si l’on parle de l’iPad, qui permettra de surfer sur le web, et donc d’accéder à toutes les offres en ligne. Ce qu’Apple nous montre à travers l’iBooks store de sa vision du livre, seules les quelques copies d’écran et indiscrétions nous permettent de le saisir aujourd’hui. On retrouve, avec la présentation des livres rangés sur une bibliothèque aux étagères en bois, le choix d’Apple d’employer des métaphores très immédiatement identifiables, rassurant l’utilisateur en se référant au monde qu’il connaît.
On fait confiance à Apple pour une expérience de navigation, de choix, et de commande « frictionless », c’est ce qui a fait le grand succès d’iTunes. Deux aspects me semblent essentiels en ce qui concerne l’iPad : son format et ses performances (définition, couleur) permettront à des livres qu’il était impossible d’adapter pour une lecture sur liseuse, d’être également maintenant diffusés en version numérique. L’aspect multi-fonctionnel, permettra d’accéder avec un terminal unique à différents types d’objets numériques : applications, jeux, vidéo, et la présence de livres parmi ces objets semble une bonne chose. La possibilité d’objets hybrides, de faire bouger les frontières, de développer des collaborations entre auteurs, concepteurs de jeux et d’applications, réalisateurs vidéo, apparaîtra comme une évidence.

Choisir ? Pourquoi ? Si nous parvenons à faire ensemble que continue de se transmettre le goût des lectures immersives, celles pour lesquelles notre imagination demeure le meilleur outil pour « augmenter » le livre, il y aura probablement pour une longue période place pour ces différentes visions de l’accès à l’univers d’un auteur. Celle qui privilégie la lecture solitaire d’un texte, auquel suffisent les 26 lettres de l’alphabet pour enchanter notre esprit. Celle qui, envoyant les textes dans le nuage, nous permet de les découvrir sans les rechercher, ouvre la voie à des lectures collectives, annotées, partagées, et atténue la frontière entre lecture et écriture. Celle qui, via un objet conçu pour séduire les utilisateurs, pourrait permettre l’apparition d’écritures hybrides, de mariages inattendus, des rencontres de créateurs, et des expériences inédites, à la frontière de la lecture.

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Cliquer ? Non : toucher.

John Makinson, CEO de Penguin Books, présentait mardi à Londres une série d’exemples d’utilisation de l’iPad :

Pour ce qui concerne l’édition jeunesse et le documentaire, cela donne une forte impression de déjà vu : l’illustration très fouillée de la cathédrale façon Dorling Kindersley, la planche anatomique dans laquelle on peut zoomer, l’animal qui pousse son cri lorsque l’on clique sur touche son image. Cela donne l’impression d’être revenus au temps du CD-Rom, à l’interface tactile près, et probablement cela fait-il une différence importante pour l’utilisateur. Ce geste de toucher l’écran compte, de le toucher directement et non virtuellement grâce au curseur dirigé par la souris. ça fait aussi une grosse différence, cette tablette qu’on tient, qu’on porte, qu’on emporte, qui nous suit alors qu’il fallait aller se poster devant l’écran de son PC pour manipuler les CD-Rom que l’on produisait dans les années 90.

Alors, livres augmentés, applications ? Mike Shatzkin met en garde les éditeurs : ne recommencez pas les erreurs faites à l’époque des CD-Rom, si amusants à concevoir et à réaliser, faisant appel aux compétences de multiples créateurs, si coûteux, mais dont les ventes couvraient bien rarement les frais…

Que dit M. Makinson ?

« L’iPad représente la première véritable opportunité de créer un modèle de distribution payant qui sera attractif pour le consommateurs »

« La psychologie du paiement sur une tablette est différente de celle du paiement sur un PC »

« Et la plupart des contenus que nous allons créer à partir de maintenant seront des applications, qui seront vendus sur l’app Store et en HTML, plutôt que sous la forme d’ebooks. La définition même du livre est à réinventer.

« Nous allons encapsuler de l’audio, de la vidéo, du streaming dans tout ce que nous ferons. Le format .epub, qui est à présent le standard pour les ebooks, est conçu pour s’adapter au texte narratif traditionnel, mais pas le genre de contenu dont nous sommes en train de parler. »

« Nous ne savons pas encore si oui ou non une introduction vidéo sera valable pour les utilisateurs. Nous trouverons la réponse à nos questions uniquement en procédant par essais-erreurs. »

Alors, pour le patron de Penguin, le ePub, ce serait déjà « So 2009 » ?

On le voit, beaucoup d’excitation autour du iPad, mais aussi des supputations et de l’anticipation, c’est du moins ce qu’on peut en conclure en lisant ce post de Clément Laberge, qui nous mijote visiblement quelque chose…

3/03 : et lire aussi ce billet de Jeremy Ettinghausen sur le blog de Penguin, avec la même vidéo. Je me disais bien que Jeremy devait être dans la boucle…
Il précise bien que ce qui est montré dans cette vidéo, ce ne sont pas des maquettes ou des prototypes (rien de tout ceci n’a réellement été encore développé) mais uniquement une simulation qui illustre différentes pistes de réflexion.

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Si on pensait ?

On pourra suivre à partir de cette semaine, à l’occasion du premier anniversaire de la revue en ligne Implications philosophiques, et dans le cadre d’un panorama proposé sur l’édition numérique, une série d’interventions qui se proposent d’interroger les bouleversements que l’on observe dans le rapport au savoir, tant dans sa création que dans sa diffusion.

Sont annoncés :

· 1 mars « Introduction aux enjeux de l’édition numérique » Thibaud Zuppinger
· 2 mars « Publier en ligne » – Paul Mathias (Collège international de philosophie)
· 4 mars « L’édition en ligne et les mutations sociétales induites » – Xavier Pryen (Direction générale de L’Harmattan)
· 6 mars « Réflexions sur mes usages numériques » – Martine Sonnet (ENS, CNRS)
· 8 mars « Internet et l’édition scientifique » – Patrice Flichy ( LATTS, dir. de la revue Réseaux)
· 10 mars « Les mutants de la publication scientifique en ligne » – Corinne Welger-Barboza ( Paris I – Observatoire critique)
· 12 mars titre à préciser – Anne-Solweig Gremillet (Directrice de la communication Chargée de produits d’édition at CNRS – CNRS)
· 15 mars « Prendre le numérique au sérieux » – Pierre Mounier ( EHESS, Membre du comité de rédaction de Revues.org, fondateur et éditeur d’Homo Numericus)

Pour ne pas perdre tout à fait l’habitude de lire des textes de plus de 140 caractères…

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La tête ailleurs

fdnAujourd’hui, j’aurai la tête ailleurs… Même assez loin, non pas au TOC, c’est fini le TOC, il reste la salve de billets d’Hubert et plein de vidéos, pas si loin de New York, un peu plus au nord… aujourd’hui, j’aurai la tête à Québec, avec Clément Laberge, René Audet, Eric Duchemin, François Bon, Marin Dacos, du côté de la Fabrique du Numérique.

« L’événement du 26 février permettra de réunir de nombreux acteurs du monde du livre et du numérique — certains du côté de la création, d’autres de la sphère politique, mais surtout des intervenants immédiats du monde éditorial. Les échanges bénéficieront de ces complémentarités.

En raison de l’affluence des participants et de l’heureuse diversité des profils, nous tiendrons plusieurs ateliers parallèles. Les thématiques tenteront de rejoindre les intérêts des participants, ce que notre premier effort de balisage des thèmes possibles a essayé de concrétiser.

Planifier l’animation de cette journée, c’est s’engager dans la définition de ces pistes. Nous ne jugeons pas possible ni souhaitable de le faire sans votre aide. C’est l’occasion pour chacun-e d’entre vous de préciser vos souhaits, vos attentes et vos motivations à partager des expériences le 26 février prochain. »

Plutôt inspirante, la liste des thèmes :

Thème 1. L’édition sans éditeur ? Quelle appropriation des outils par les créateurs, par les acteurs du numérique ?
Thème 2. Le numérique comme agora : édition de la science citoyenne
Thème 3. Le numérique, une ouverture pour l’émergence de nouvelles formes de création et de diffusion du savoir: sciences interdisciplinaires
Thème 4. Le livre long en mode nomade (roman, monographie) : quelles incidences de le consulter sur des liseuses ou des tablettes ?
Thème 5. La lecture active : quels outils, quels dialogues des lecteurs avec le texte?
Thème 6. Hors des mains du créateur, du rédacteur : qui sont les passeurs du livre numérique ?
Thème 7. Nouvelles répartitions des « pouvoirs », des rôles et de la structure du système de publication : comment le système réagit et se redéfinit avec l’arrivée du numérique
Thème 8. Formats de livres numériques : quel avenir pour le pdf (smartphones, tablettes), quel développement pour le epub?
Thème 9. Texte, image, espace : quelle dynamique, quelle collaboration entre rédacteurs, graphistes, programmeurs ?
Thème 10. Pages, textes, livres : sur quoi repose l’identité du contenu numérique ?
Thème 11. Raconter, en contexte numérique : blogs, médias sociaux, hypermédialité et interaction
Thème 12. Entre diffuser et archiver : pérennité des oeuvres numériques, rôle des bibliothèques et consortiums, ouverture maximale ou sécurité du patrimoine ?
Thème 13. Modèles économiques du livre : contenus numériques vs contenus web (DRM, barrières mobiles)
Thème 14. Modèles économiques du livre : éditer en numérique et en papier, processus complémentaires et en synergie?
Thème 15. Numérique, nouvelles interfaces: quels changements sur l’écriture (littéraire, documentaire, scientifique) ?
Thème 16. Outils, logiciels, codes libres : avantages des solutions open source et priorités à investir ?
Thème 17. Perdus dans une mer numérique : s’assurer de bien renseigner les documents

Bonne réussite à la Fabrique, on attend les traces, les échos, les tweets, (hashtag #fn10) et surtout : des idées et des pistes…

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