J’ai animé, il y a quelques années, des stages de « scénario multimédia ». C’était avant la généralisation du web, pendant les quelques années de gloire du CD-Rom. L’une des premières choses que j’essayais de faire percevoir aux stagiaires, c’était la différence entre un un écran et une page. Le terme qui m’aidait le mieux à faire comprendre la nature de l’affichage écran était le verbe « convoquer ». Parce que ce verbe évoquait un dynamisme et une plasticité, une immédiateté, une urgence autoritaire… Les « contenus » ou les « médias » sont bel et bien convoqués à l’écran. Ils peuvent donner l’illusion, s’ils se stabilisent un moment, de composer une page. Mais le concepteur web fait un grand progrès quand il cesse de penser la surface de son écran comme une page. Lorsqu’il abandonne tout à fait la métaphore du papier.
Fabien Deshays évoque cette question dans son dernier article, et il a raison de dire que les technologies AJAX (qui permettent entre autres de « convoquer » des contenus dans une page sans réafficher la page entière, et donc de faire varier une partie des contenus de cette page par une action sur d’autres contenus), ou l’utilisation de Flash (qui permet une infinitié d’interactions, et également de « convoquer » vidéo, animation et son), remettent en cause cette utilisation qui perdure de la métaphore de la page pour désigner ce qu’un écran nous présente.
Et sur ce site (signalé par mail par Alain Pierrot) on expérimente un affichage dynamique en Flash : flèche haut = zoom avant, flèche bas = zoom arrière, clic maintenu et déplacement = panoramique.
Commentaire intéressant sur if:book :
« Nous avons ici un espace en deux dimensions qui s’étend sur la totalité de la fenêtre du navigateur. Mais ce n’est pas le même espace à deux dimensions que celui de la feuille de papier. La possibilité de zoomer pour créer une infinité de plans tire avantage de l’environnement virtuel d’une manière qui est étrangère au papier. Et que penseriez-vous d’un roman qui se déploierait dans un tel espace ?
Cela me semble passionnant, parce que c’est réellement du design en action : un essai de changer de métaphore, au lieu d’un effet de bord du à la réimplantation de vieux concepts dans un contexte neuf. »
J’aimerais creuser aussi les différences entre « page » et « écran » sur le plan de l’expérience qu’ils nous proposent respectivement. La page est lue. Elle peut aussi être relue, cherchée, caressée, touchée, froissée, déchirée, tournée, feuilletée, cornée, griffonnée, arrachée. Le texte est rivée à la page. Le mot page désigne à la fois le support (puisqu’on parle de « page blanche ») et le contenu : il est aussi une sorte d’unité de mesure du texte – j’ai lu tant de pages.
L’écran est rarement tactile. On ne le déchire ni ne le froisse. Il affiche textes, images, vidéos, animations. Il accueille l’hypertexte, le zoom, le scroll, le clic, le roll-over. Il accepte que le texte qu’il affiche soit copié d’un clic, sans exiger l’effort patient du copiste. C’est sur le même écran qu’on consulte ou qu’on produit. Pur support, l’écran est séparé du texte, c’est toujours le même écran qui affiche différents textes.
Connaissez-vous d’autres exemples d’affichage écran (interfaces de consultation, et non interfaces de navigation, car là, les exemples abondent), qui aient pris congé de la métaphore de la page, et proposent des expériences de visualisation inédites ?