Un mail ce matin, de Babelio qui me dit en substance : ça y est, ça marche, tu peux venir jouer sur notre site. alors évidemment je fonce, direct sur Babelio ma tasse de café dangeureusement posée à côté du clavier. J’avais une petite idée, j’avais visité Library Thing, et je pressentais une expérience « à la facebook » (On y va « pour comprendre », « pour expérimenter », « pour savoir de quoi on parle », et puis finalement, on y va, quoi, tout simplement, comme tous les autres qui s’inscrivent, et se mettent à « add a friend » et à inventer des statuts rigolos qui s’accommodent tant bien que mal du « is » en Anglais, ce qui donne souvent des choses du genre « Virginie is pas en avance pour finir son powerpoint » (phrase tout simplement facebouquienne.)
Bon. Babelio. Sérieusement. J’y vais pour tester. Les fonctionnalités, tout ça. Ajouter un livre. D’accord, facile. Ajouter plusieurs livres d’un coup : ah oui, comment ? Ben tiens, il suffit de se mitonner une requête un peu siouxe sur Amazon, qui ramène presque que des livres de votre bibliothèque, et bzzzing, on colle le lien de la page dans Babelio, et ça rafle tous les ISBN qui se baladent dans le code de la page. S’il y a un peu de déchet, il suffit de supprimer les livres après coup. Comme je suis une dévoreuse incorrigible de polars, et que je lis absolument systématiquement certains auteurs au fur et à mesure des parutions de leurs traductions, mes requêtes n’étaient pas compliquées, et j’ai très vite un énooorme tag policierdans mon nuage de tags. Oui parce que sur Babelio, on a droit à son nuage de tags perso. Tout Lawrence Block ( ah, huit millions de façon de mourir…), tout Connelly, tout Sue Grafton, et puis Henning Mankell, et les vieux suédois Maj Sjöwall et Per Walhoo, et Camilleri… Une façon rapide d’avoir une bibliothèque en ligne bien fournie, mais quel intérêt ? Je serais bien en peine, pour certains de ces livres, de me souvenir de l’intrigue à la seule lecture du titre. Et comme les éditeurs changent régulièrement les visuels de couverture, il m’arrive parfois de racheter un titre que j’ai déjà lu, me basant sur une impression de nouveauté, et il faut parfois plusieurs pages pour qu’une sensation de « déjà lu » s’insinue dans mon petit intellect perturbé. Peu importe, parfois, je fais une pause de quelques mois, marre des polars, et puis je découvre un nouvel enquêteur, qui a sa propre façon d’être asociable, misanthrope, indiscipliné, de ne jamais lâcher, de résister à la peur, aux menaces, à la douleur physique, à la stupidité de ses supérieurs, qui a ses blessures intimes, ses addictions, une ex infernale, un père borné, une fille indifférente, et me voilà partie pour guetter les sorties…
Babelio, donc. Arrêter avec les polars. Qu’est-ce que j’ai lu, déjà ? Commence alors un exercice délicieux qui consiste à se remémorer des livres et auteurs, à voyager du Montana à la Sibérie, de l’Irlande au Botswana, de l’Egypte au Brésil, en m’aidant d’Amazon et des bibliothèques des autres (je découvre que certains ont eu un accès bien avant aujourd’hui, surement la petite amie du webmaster, et qu’on peut facilement « ajouter à sa bibliothèque », un livre trouvé dans la bibliothèque de quelqu’un d’autre. Au fil de la journée, j’interromps de temps en temps mon travail (non, pas encore tout de suite de suite les vacances, on est gentil, on ne me parle pas de vacances…) pour jeter un Œil sur Babelio, et je vois les tags se multiplier, je vois débouler les uns après les autres mes friends en Facebook et habitants de la Bouquinosphère, on vient tester aussi, Hubert ? On a une connection en vacances, Clément ?
À ce stade, ma bibliothèque en ligne est plutôt bizarre, sans cesse je me dis : je ne peux quand même pas ne pas mettre un tel, laisser de côté celui-ci ou celui-là. J’essaie d’ajouter des tags aussi, les critiques, je laisse tomber pour le moment, les citations aussi. Je n’ai quasiment pas mis d’auteurs français contemporains, pardonnez-moi, mais j’avais ce powerpoint à terminer…
J’aimerais pouvoir conclure en bouclant sur mon précédent post, à propos de l’eBook, et me poser cette question : est-ce que l’exercice (commencer à saisir ma bibliothèque sur Babelio) aurait été aussi agréable si j’avais fait toutes ces lectures sur un eBook reader, (enfin sur une succession de lecteurs, car j’ai du mal à imaginer qu’un eBook reader ait une durée de vie supérieure de beaucoup à celle d’un lave-vaisselle, et mes premiers Club des Cinq ce n’était pas tout à fait hier…) sur lequel se trouverait, au complet, facile à trier et accessible d’un coup de stylet, toute ma bibliothèque ? Plus facile à connecter, certes. Mais, et ce plaisir de rassembler des souvenirs disparates, de retrouver brusquement un titre entier ( « traité du zen et de la motocyclette », « le récit qui donne un beau visage »), de chercher vainement en ligne « mon » édition en Folio de la Recherche, pas ces images là sur les couvertures, non, d’autres… ? Nos souvenirs de lecture ne sont pas seulement des souvenirs de textes. Ce sont des souvenirs de librairies (les heures passées à l’ Armitière, à Rouen), de bibliothèques (les petites fiches glissées à la dernière page, l’angoisse des retards et des amendes), des souvenirs de lieux de lecture (lits, jardins, transats, serviettes de bain, fauteuils, arbres, chambres, voitures, trains, bus, en classe en cachette), de postures (Le Comte de Monte Cristo, roulée en boule, le nez vers le tapis, indifférente aux courbatures et au boucan fait par mes frères et soeurs), des souvenirs de gestes (caler la page pour lire en mangeant, relever les cheveux qui vous tombent devant les yeux, poser le livre à plat, retourné, pour ne pas perdre la page, mais en sachant que c’est mal, que ça l’abime), des souvenirs de cadeaux, d’échanges. Souvenir aussi d’avoir immédiatement aimé la bibliothèque de l’ homme que j’aime, lorsque je suis venue chez lui la première fois.
Je me souviens de l’été où j’ai lu « Autant en emporte le vent », ado, à plat ventre sur l’herbe, une veille édition fatiguée avec du papier un peu jauni, et il me semble que Rhett Butler aurait été moins impressionnant si j’avais lu ça sur un eBook, mais qu’est-ce qui te prend, la grande geek, tu nous fais un coup de nostalgie ?
Tout ça, c’est la faute à Babelio.